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inattendue. Enfin beaucoup obtiennent du travail par les soins de l’œuvre, et je terminerai ces renseignemens par un chiffre qui est la meilleure preuve du bien que fait l’œuvre, en même temps que la meilleure réponse aux critiques dirigées contre elle : en 1880, sur 26,555 passagers, 3,929 ont trouvé du travail par l’intermédiaire de la société.

Grâce à Dieu, le mal n’est pas seul contagieux : le bien l’est aussi, et parfois plus rapidement. A peine l’œuvre de l’hospitalité de nuit pour les hommes était-elle entrée en exercice que son succès même faisait sentir une lacune. S’il était utile de tendre la main à l’homme errant la rue, combien cette assistance n’était-elle pas plus nécessaire encore à la femme? Plus rude, en effet, est pour elle la nuit passée sur un trottoir, plus périlleux le refuge cherché dans quelques-uns des asiles favoris du vagabondage, plus humiliante l’arrestation par la police. Et puis, il y a toujours pour la femme le danger suprême d’acheter l’hospitalité à un prix trop facile. On m’excusera de rapporter ici, malgré sa brutalité, une histoire à la fois banale et typique, qui m’a été directement racontée. Une jeune fille, atteinte d’une inflammation des paupières qui loi rendait impossible l’exercice de son métier de couturière, avait été expulsée de son logis. Elle erra deux jours dans le quartier, couchant la nuit dans la cave d’une maison abandonnée. Le troisième, elle fut rencontrée par un vieillard, machiniste dans un théâtre de barrières, qui lui offrit de partager sa chambre dans une immonde cité où il habitait. Mais à son hospitalité il mit un prix grossier. De ce marché naquit un enfant chétif dont les traits blafards, boursouflés, accusaient la vieillesse du père et la mauvaise santé de la mère. La pauvre fille ne s’en croyait pas moins tenue à une certaine reconnaissance vis-à-vis de ce vieux débauché. Pendant qu’il dormait débraillé sur un lit défait, cuvant son vin de la veille, elle parlait de lui à voix basse, avec un certain respect, et, pour le désigner, l’appelait « ce monsieur. »

Dès qu’on eut senti la lacune, elle fut bientôt comblée. L’honneur en revient à la Société philanthropique, qui est aujourd’hui, avec la Société de charité maternelle, l’œuvre la plus ancienne de Paris (car elle célébrait l’année dernière le centenaire de sa fondation) et qui comprend dans son comité directeur des catholiques, des protestans et des israélites. Par ses soins un asile de nuit pour les femmes et les enfans fut inauguré le 23 mai 1879, au n° 253 de la rue Saint-Jacques. Cet asile a été installé dans un très vieux bâtiment qui appartient à l’Assistance publique. L’aspect extérieur en est des plus humbles : on dirait une maison de pauvres, et, bien que nulle part le luxe ne soit plus déplacé que dans une maison ouverte