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remplie par un nouvel occupant leur place à l’atelier, les autres parce qu’attirés à Paris par l’espérance d’y toucher un salaire plus élevé, ils ont au contraire dévoré en quelques jours leurs modiques ressources dans la grande ville inhospitalière. On ne saurait en effet s’imaginer la fascination que ce seul mot de Paris exerce en province sur certaines imaginations. Paris, c’est l’endroit où l’on trouve toujours du travail et où l’on fait les plus fortes journées. On part sur cette vague espérance, emmenant avec soi sa femme, ses enfans, ses effets dans une petite malle. Le voyage en chemin de fer dévore déjà une partie des économies; en quelques jours, le garni, le traiteur ont mangé le reste. Le mont-de-piété prête quelques francs sur les habits qu’il ne rendra jamais et, toutes ces ressources épuisées, la famille entière se trouve sur le pavé, qu’elle arpente nuit et jour pour éviter une arrestation, jusqu’à ce qu’elle tombe épuisée dans quelque coin ou qu’elle vienne d’elle-même se remettre entre les mains des agens. J’ai vu ainsi, sur les quatre heures du matin, toute une famille de paysans flamands pénétrer dans un poste de police et solliciter son arrestation. Les trois enfans pleuraient de fatigue, le père semblait hébété; quant à la mère, elle portait sur sa physionomie l’expression de résolution farouche d’une femme aussi bien prête à commettre un crime qu’à se jeter dans la rivière. Dans un cas pareil, l’arrestation devient un acte de charité et se dénoue par un rapatriement. Le nombre des passeports avec secours de route ou des réquisitions de transports par chemin de fer ainsi délivrés par la préfecture de police ne s’élève pas annuellement à moins de six ou sept mille. Mais la conduite à tenir est beaucoup plus difficile, lorsqu’on se trouve en présence de quelque misère parisienne. S’il s’agit d’un infirme, il sera possible de le faire admettre au dépôt de mendicité de Saint-Denis ou de Villers-Cotterets, à supposer que ces dépôts ne soient point encombrés. Mais s’il faut statuer sur le sort de quelque misérable jeté dans la rue par la maladie, par le chômage, ou par quelqu’une de ces circonstances fortuites qu’on ne saurait énumérer ni prévoir, que faire, quelles mesures prendre? Remettre en liberté, c’est reculer la difficulté sans la résoudre, car l’individu mis en liberté la veille sera arrêté de nouveau le lendemain. Traduire en justice, ce serait aller au-devant d’un acquittement certain. Il y avait donc là un véritable cercle vicieux dont la police ne savait comment sortir, lorsque la charité privée est intervenue et a créé les asiles de nuit. Il a été, dans ces derniers temps, beaucoup parlé de ces asiles. Le roman, les a décrits; le théâtre les a représentés et l’on pouvait voir naguère affichée sur les murs de Paris la reproduction d’un décor qui figurait l’intérieur d’un dortoir. Quelques renseignemens exacts sur le fonctionnement de ces œuvres ne sout donc pas tout à fait hors de saison, et peut- être,