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de la saison n’a rien non plus de constant, car il y a eu 1,561 vagabonds arrêtés pendant le mois de septembre, tandis qu’il n’y en a eu que 993 au mois de décembre. Pour amener ces fluctuations, il suffit que, pendant une certaine période, l’action de la police s’exerce avec plus ou moins de vigueur ou de relâchement, et bien des petites causes secondaires qui tiennent aux circonstances ou aux personnes jouent leur rôle dans ces alternatives, ainsi que dans la suite donnée à ces arrestations. Il s’en faut, quelques chiffres vont le démontrer, que toutes produisent un effet utile.

Sur les 13,997 vagabonds ainsi arrêtés, 1,092 ont été mis en liberté par la police elle-même, 9,607, après un interrogatoire sommaire, par les magistrats du petit parquet et 1,730, après instruction, par les juges commis à cet effet. 1,568 seulement ont donc été renvoyés devant le tribunal. Sur ce nombre, 135 ont été acquittés, 126 étant mineurs de seize ans ont été rendus à leurs parens ou envoyés en correction. 1,307 seulement ont été condamnés, et, sur ce nombre, 1,132 ont bénéficié de l’application des circonstances atténuantes, ce qui a réduit leur peine au-dessous de trois mois d’emprisonnement. On voit si la justice se montre sévère aux vagabonds. Faut-il conclure cependant de ces nombreuses mises en liberté que ceux qui en ont bénéficié soient autant d’innocentes victimes des erreurs de la police? En aucune façon. L’immense majorité de ces individus sur lesquels la police a mis la main étaient bien en réalité des vagabonds, c’est-à-dire, suivant la définition du code, qu’ils n’avaient ni domicile certain ni moyens de subsistance et qu’ils n’exerçaient habituellement ni profession ni métier. Mais le vagabondage n’est pas, comme le vol ou le meurtre, une infraction dont la répression s’impose; c’est au contraire un délit essentiellement conventionnel, à ce point même que le code a cru nécessaire de dire (art. 269), suivant une forme tout à fait insolite : « Le vagabondage est un délit. » Aussi la magistrature et la préfecture de police elle-même ne donnent-elles suite à ces arrestations opérées par les agens du service de la voie publique que si une instruction sommaire a révélé des habitudes de vagabondage déjà invétérées. Peut-être aussi la rareté des poursuites et des condamnations s’expliquent-elles par les doutes que soulève avec raison chez quelques magistrats l’efficacité de la répression du vagabondage telle qu’elle est actuellement organisée. Voici comment s’exprimait à ce propos, devant une commission de l’assemblée nationale, le procureur de la république auprès du tribunal de la Seine : « On peut dire qu’il n’existe pas à Paris de répression sérieuse à l’égard des vagabonds. Les magistrats, sachant par expérience qu’un séjour de deux à trois mois dans une prison où ils ne