Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/60

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur l’inertie et la routine, les pièces de 5 francs soient atteintes par la dépréciation des lingots ? Le jour où l’opinion, plus forte que la loi, leur refuserait la confiance qu’elles ne méritent plus, l’or disparaîtrait d’autant plus vite qu’on le rechercherait davantage, et après avoir déprécié la monnaie d’argent en refusant de la frapper, nous serions réduits à n’avoir plus qu’elle.

Copernic écrivait, il y a plus de trois siècles : « Quelque innombrables que soient les fléaux qui d’ordinaire amènent la décadence des principautés, des royaumes et des républiques, les quatre suivans sont à mon gré les plus redoutables : la discorde, la mortalité, la stérilité de la terre et la détérioration des monnaies. » Copernic exagère : une mauvaise monnaie est un grand mal assurément, mais c’est en trop médire que de là comparer à la famine, à la peste et à la guerre civile, et quand l’illustre astronome ajoute : « Nous voyons fleurir les pays qui possèdent une bonne monnaie, tandis que ceux qui n’en ont que de mauvaise tombent en décadence et périssent, » il suppose trop facile l’art de bien gouverner. La monnaie incorrecte dont parle Copernic est celle d’ailleurs dont le poids est altéré ou le titre douteux ; l’incertitude sur la qualité de chaque pièce est un mal bien plus grave que la dépréciation commune de toutes ; aucune discussion aujourd’hui n’est à craindre à l’occasion des pièces rognées, usées, ou d’empreinte douteuse. Pour le titre et le poids, notre monnaie est irréprochable. Un jour viendra peut-être, si l’on n’y met obstacle, où la pièce de cent sous ne sera acceptée que pour 4 francs, mais toutes subiront le même sort, comme il arrive, sans que les relations soient en rien troublées, pour le papier-monnaie déprécié aujourd’hui en Italie, en Autriche, et en Russie.

Notre monnaie d’argent est devenue mauvaise ; on la reçoit pour bonne ; il faut s’en réjouir, mais il serait imprudent de s’y fier. En l’année 1665, le tzar Alexis, se croyant tout permis, fit frapper des copecks de cuivre de mêmes dimensions que ceux d’argent en les déclarant de même valeur. Il fut cru et obéi pendant trois ans, mais en 1669, la nouvelle monnaie, dépréciée de 95 pour 100, devint la cause d’une révolte qui la fit supprimer. Le peuple moscovite, docile alors et confiant dans son maître, était merveilleusement propre à faire réussir l’expérience qui échoua. Nous acceptons aujourd’hui une monnaie d’argent valant 85 pour 100 de sa valeur nominale, mais plus instruits et plus défians que les sujets d’Alexis, nous ne recevrions pas un seul jour des sous de cuivre pour des francs, et, si les lingots d’argent restent dépréciés, l’accroissement de valeur emprunté à la mystérieuse vertu de l’empreinte, ne pourrait pas durer toujours. Tant qu’un kilogramme d’or vaudra sur le marché des métaux 17 kilogrammes d’argent, on ne doit pas espérer