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l’Autriche et la Russie auraient en même temps perdu leur monnaie d’or; à cette hypothèse, qu’il faut accepter comme possible si l’on veut raisonner avec la rigueur des géomètres, il en faudrait joindre une autre et dire en quel pays se trouverait alors cet or enlevé à toutes les grandes nations. Dans une démonstration rigoureuse, rien de ce qui est possible à la rigueur ne doit être écarté, et l’hypothèse de la fuite en Turquie, par exemple, de l’or du monde entier, a droit à l’examen ; il faut oser le dire et ne pas insister.

Les grandes nations sont malheureusement fort éloignées d’un commun accord. L’Angleterre, satisfaite de sa monnaie d’or, ne s’en veut nullement départir. L’Allemagne a rejeté l’argent et ne penche pas à le reprendre. La Hollande, la Suède, le Danemark et le Portugal fortifient la cause de l’or en s’y associant.

L’acceptation générale du bimétallisme n’est pas à espérer.

Le monométallisme est la solution orthodoxe; les ignorans seuls, dit-on, peuvent la repousser, et plus d’un économiste estimé de tous se déclare honteux, pour la défendre, d’avoir à démontrer l’évidence. On trouverait bon, cependant, en conservant l’or pour l’Europe, que l’Inde et la Chine donnassent asile au métal blanc, dont l’emploi, comme monnaie d’appoint auxiliaire de l’or, n’utiliserait qu’une bien faible partie. La théorie, il est juste d’en faire la remarque, ne se contredit pas pour cela; elle interdit l’usage simultané des deux métaux, mais permet de choisir.

L’Angleterre, en 1816, pour adopter la monnaie d’or, n’a pas rencontré d’embarras sérieux. Il ne faut pas alléguer cet exemple : L’or, en effet, succédait au papier-monnaie. L’entreprise pour nous serait plus audacieuse ; la France, pour abolir la monnaie d’argent, devrait transformer en lingots pour plus de deux milliards de pièces de 5 francs. Si l’Italie, l’Espagne, la Belgique et la Suisse prenaient la même résolution, si l’Allemagne et la Hollande, bravant les difficultés qui les retardent, achevaient de la mettre à exécution, qui achèterait à prix d’or une telle masse de métal devenu sans emploi? La baisse deviendrait une chute, et l’abandon d’un système illogique, mais tolérable, le remède à des malaises plus redoutés que ressentis, coûterait un milliard à la France. Si le bimétallisme universel est fendu impossible paû le refus d’un accord commun, la préférence de tous pour l’or oppose au monométallisme un obstacle à peu près invincible.

Une autre objection est de grande importance. L’or représente aujourd’hui, dans le monde entier, une valeur à peu près égale à celle de l’argent ; s’il devenait la seule monnaie des grandes nations, sa rareté, dont on se plaint déjà, s’accroîtrait, pour un long temps au moins, en procurant la baisse de tous les prix, plus dommageable encore que la hausse, car c’est aux producteurs qu’elle porte