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s’étaient altérées et que, si nous nous refusions à l’alliance pour nous en tenir au Luxembourg, ce n’était en réalité que pour être mieux à même de marcher sur Mayence.

Tout cela n’était guère encourageant. Cependant l’empereur et son ambassadeur, tout en étant désagréablement affectés par le langage du ministre prussien, espéraient encore alors qu’ils désespéraient. M. Benedetti passait d’une alternative à une autre. Il lui arrivait dans la même lettre d’émettre des hypothèses optimistes et les réflexions les plus inquiétantes. « Une fois à Luxembourg, écrivait-il le 18 février, nous serons sur le chemin de Bruxelles, et il vaut mieux y aller avec la neutralité de la Prusse que de nous exposer à combattre en nous alliant avec l’Autriche. » — Mais bientôt après il disait : « N’oublions pas que, tandis que M. de Bismarck nous propose de mettre le feu à la Turquie et que M. de Goltz nous offre la neutralité de la Prusse, et même sa neutralité armée, on redouble d’efforts à Berlin pour se mettre politiquement et militairement en état de faire face à toutes les éventualités. »

Ces avertissemens étaient d’autant plus sages que l’ouverture du parlement du Nord était proche et que la polémique des journaux indiquait déjà que la question du Luxembourg y serait certainement soulevée. Sans aller jusqu’à soupçonner le gouvernement prussien d’inspirer cette polémique et de songer à provoquer lui-même les interpellations, il était à prévoir du moins que, non-seulement celui-ci éviterait défroisser le sentiment public allemand, mais qu’il pourrait bien être amené à prendre des engagemens qui rendraient impossible la cession du grand-duché.

Aussi M. de Moustier, avant d’ouvrir ses négociations avec le gouvernement de La Haye, jugeait-il indispensable de se mettre au net avec M. de Bismarck. Il adressait à notre ambassadeur une lettre, soi-disant confidentielle, avec l’ordre secret d’en donner lecture au président du conseil. C’était la récapitulation rapide des engagemens que le ministre prussien avait pris avec le cabinet des Tuileries, et en même temps une réponse aux reproches qu’on nous adressait de faire un pas en arrière et de ne plus vouloir de l’alliance. « Pour rendre à ma conversation avec le comte de Goltz son véritable caractère, écrivait le ministre des affaires étrangères, j’ai besoin de remonter au début de la négociation et de faire appel à la mémoire et à l’équité du comte de Bismarck. Lorsque vous êtes revenu en France au mois de septembre dernier, la négociation qui nous occupe aujourd’hui semblait si avancée que je ne faisais, non plus que vous, en prenant possession du ministère, aucun doute qu’elle ne dût arriver à conclusion dès que vous seriez de retour à Berlin et que la santé du premier ministre lui permettrait de s’en