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« L’empereur ne veut du Luxembourg, écrivait M. de Moustier, qu’avec la forteresse, il me l’a déclaré de la façon la plus catégorique. Soulever cette question, c’est compromettre dès le début une négociation déjà suffisamment délicate. C’est risquer, en suivant la voie indiquée par M. de Bismarck, de se trouver conduit là où l’on ne voudrait pas aller et où l’on désire peut-être nous amener adroitement. Quant à l’alliance, du moment que la Prusse ne se jette pas dans nos bras, comme elle paraissait vouloir le faire il y a quelques mois, nous aurions tort de chercher à forcer son tempérament. L’alliance offensive et défensive n’aurait plus dans ces conditions les avantages qu’elle pouvait offrir, si elle eût été acceptée de part et d’autre, pleinement et sans hésitation. L’important pour nous c’est d’être assurés que dans aucune hypothèse nous ne trouverons la Prusse engagée contre nous dans une coalition et que sa neutralité nous serait acquise quoi que nous fissions. Le comte de Goltz m’assure que nous pouvons y compter. Il va même jusqu’à offrir une neutralité bienveillante, prête à se transformer en neutralité armée à notre profit, si nous étions engagés dans une guerre avec l’Angleterre par exemple. Reste à savoir dans quelle mesure et dans quelle forme nous devrions constater ces bonnes dispositions ; s’il faudrait faire une convention ou simplement échanger des notes. L’empereur, à qui je viens de lire cette lettre et qui trouve qu’elle rend bien sa pensée, incline vers ce dernier parti. Il craint de se lier trop à son tour avec qui ne se lie pas très nettement. »

La question du démantèlement n’était qu’un ballon d’essai. On ne l’avait soulevée que pour mesurer l’énergie de notre tempérament. Il est toujours utile de connaître la force morale des gouvernemens avec lesquels on traite. Le refus indigné de l’empereur prouvait qu’on avait trop auguré de sa condescendance. Il ne restait plus qu’à atténuer la portée de l’incident. Aussi M. de Bismarck s’empressait-il de reconnaître que le général de Moltke ne s’était pas déjugé du jour au lendemain, comme il l’avait craint d’abord. Il n’était pas homme assurément à déclarer qu’une forteresse placée en avant des frontières prussiennes était sans valeur, mais il était toujours prêt à déclarer, sans violenter sa conscience, que l’occupation serait plus onéreuse qu’avantageuse.

« Nous ne voudrions pas prendre un engagement qui nous liât, » avait dit le baron de Manteuffel, lors de la guerre de la Crimée, dans une circulaire restée célèbre dans les annales de la diplomatie. C’était le mot de la situation. On voulait s’allier, mais sans se lier. Aussi rien ne pouvait-il être plus agréable à M. de Bismarck que de voir le gouvernement impérial disposé à le relever du traité d’alliance offensive qu’il nous avait offert et prêt à réduire à une neutralité