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nouvelle créée en Allemagne et comme un gage de paix et de concorde entre les puissances.

Demander à la France de démanteler de ses propres mains l’œuvre de Vauban pour la satisfaction de s’annexer cent quatre-vingt-dix-neuf mille habitans, c’était se faire du sentiment de notre dignité une étrange idée. M. Benedetti témoigna par son silence combien l’offre était déplaisante ; il n’aurait pu la relever qu’en termes indignés et il n’avait pas mission d’amener une rupture.

En somme, nos affaires n’avaient pas cheminé d’un pas ; l’alliance française répugnait toujours au roi, et l’intérêt de son système défensif, autant que son point d’honneur militaire, ne lui permettaient pas d’évacuer le Luxembourg. Telle était la réalité des choses, et il fallait qu’on eût à Paris une somme d’illusions bien grande pour s’y méprendre. Les négociations poursuivies dans de pareilles conditions n’avaient aucune chance d’aboutir.

La situation qui était faite à notre représentant auprès de la cour de Prusse était étrange et nouvelle dans l’histoire de la diplomatie. M. Benedetti ne traitait ni avec le roi ni même avec son gouvernement ; il n’avait en face de lui que la personne de M. de Bismarck, qui, causant et ne stipulant pas, n’offrait aucune garantie officielle et se dérobait à tout instant soit derrière la volonté royale, soit derrière les objections du parti militaire. Il ne pouvait approcher le roi qu’après avoir sollicité une audience motivée, et recourir à ce moyen quelque peu solennel, c’était risquer d’indisposer le ministre et de tout compromettre. À Paris, les choses ne se passaient pas de la sorte. L’ambassadeur du roi Guillaume trouvait moyen de s’introduire à chaque heure dans le cabinet de l’empereur ; il était l’invité de toutes les séries à Compiègne et à Fontainebleau, et il pouvait ainsi, dans le contact de l’intimité, en dehors du contrôle du ministre des affaires étrangères, traiter directement avec le souverain et lui arracher par surprise, comme il avait réussi à le faire le 23 juillet, les concessions les plus regrettables.

M. Benedetti sentait ce que sa situation avait d’anormal et de délicat ; il s’en plaignait et menaçait même par momens de quitter son poste si l’on devait permettre à M. de Goltz d’empiéter sur ses prérogatives. Mais il retirait sa démission sur les instances de ses amis ; il connaissait leurs embarras ; il savait qu’ils avaient à cœur de prouver au pays que le gouvernement n’était pas sorti les mains vides des événemens.

C’est sous cette préoccupation qu’il reprenait ses pourparlers avec le ministre prussien, qu’il le serrait de près, le harcelait de questions et lui demandait itérativement de tenter de nouveaux assauts, avec le concours du général de Moltke, pour obtenir du roi la résolution