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de Sadowa, n’ayant pas cinquante mille hommes au service de sa politique. Il reconnaissait qu’il avait méconnu les exigences de la guerre moderne, que ses effectifs étaient insuffisans, son armement défectueux, les arsenaux vides, la discipline relâchée ; il s’apercevait aussi que le système de défense de nos places fortes n’était plus conforme au tir des canons rayés et que ses généraux, tout vaillans qu’ils fussent, au lieu de se tenir au courant de la transformation que les chemins de fer et les télégraphes avaient fait subir à l’art de la guerre, en étaient restés aux souvenirs du premier empire et aux campagnes d’Afrique. Il cherchait en vain autour de lui un de ces hommes éminens qui, comme Gouvion Saint-Cyr, marquent dans l’histoire militaire d’un pays. Moins heureux que le roi de Prusse, il n’avait eu à son service ni un général à la hauteur de la stratégie nouvelle, ni même un administrateur en état de procéder avec la science et la rapidité voulues aux réformes que l’exemple de la campagne de Bohême rendait nécessaires et urgentes. Peut-être aussi lui manquait-il le don de découvrir et de choisir les hommes.

Tout était à créer ou à refaire sous le coup des événemens. Il s’agissait de gagner la Prusse de vitesse et d’assurer l’inviolabilité du territoire. Il fallait avant tout un nouveau fusil, car on attribuait alors au fusil à aiguille plus qu’aux causes morales le succès de la campagne de Bohême, et l’on craignait que le soldat français, si impressionnable, ne se décourageât en sentant l’infériorité de son armement. L’empereur convoqua ses maréchaux et ses généraux à Compiègne ; il fit appel à leurs lumières, à leur patriotisme, il demanda à la commission qu’il présidait chaque jour le service obligatoire et, en vue d’une mobilisation rapide, la création de corps d’armée distincts, indépendans les uns des autres et se suffisant à eux-mêmes, tels que nous les avons organisés depuis[1]. Mais depuis qu’il avait perdu le prestige du succès, il n’avait plus l’autorité morale suffisante pour faire prévaloir, même dans ses conseils, des mesures aussi radicales. Les ministres, si obéissans autrefois, commençaient à discuter : ils comptaient moins avec sa volonté qu’avec les exigences de l’opinion publique. Ils objectèrent que le pays n’était pas préparé à de tels sacrifices, que lui imposer le service obligatoire serait ajouter à son mécontentement et que les députés, soucieux avant tout de l’esprit des populations et de leur réélection, ne consentiraient jamais à sanctionner une mesure aussi impopulaire. L’empereur dut se résigner et transiger. Le 12 décembre,

  1. M. de Persigny conseillait à l’empereur d’émettre un emprunt de 1 milliard sous le prétexte de compléter le réseau des chemins de fer, mais en réalité pour organiser la défense.