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nie, » disait Méphistophélès. Mais l’incident avait trop de gravité pour n’être pas approfondi : d’ailleurs on était fixé, c’était du pape lui-même qu’on avait appris l’offre qui lui avait été faite par M. d’Arnim. Peu de jours après, M. de Thile, questionné à nouveau, dut revenir sur ses dénégations ; il reconnut, après plus ample informé que M. d’Arnim, en entendant le pape se plaindre de la situation dépendante et précaire qui lui était faite, lui avait, en effet, de son propre mouvement, en prévision de son départ de Rome, offert un refuge dans les états du roi.

La politique a ses mécomptes, mais il en est qu’un gouvernement ressent tout particulièrement ; l’offre faite au pape par l’ambassadeur de Prusse était de ce nombre. Le gouvernement de l’empereur avait été touché au vif dans une de ses fibres les plus sensibles. Il ne reprit contenance qu’au retour de M. de Bismarck. Il apprit alors que M. d’Arnim n’avait agi que sous l’influence ultramontaine de son beau-frère, M. de Savigny[1], et que le premier ministre, loin d’approuver la sollicitude insolite témoignée au pape par l’ambassadeur du roi, s’était plaint vivement de la déviation regrettable qu’on avait fait subir à sa politique pendant son absence. L’heure n’était pas venue pour la Prusse de s’affirmer au dehors, elle était en pleine gestation intérieure, et le moment était mal choisi pour irriter l’Italie et ajouter aux ressentimens de la France par des manifestations sans objet contraires à ses traditions. Tout lui commandait, tant qu’elle n’aurait pas digéré ses nouvelles provinces et réorganisé

  1. M. de Savigny, d’origine française et descendant d’une famille réfugiée en Prusse après la révocation de l’édit de Nantes, s’était converti au catholicisme. Il avait vécu longtemps à Paris et conservait un vif souvenir des relations qu’il y avait contractées dans le monde doctrinaire et particulièrement de ses rapports avec M. de Montalembert. Il recherchait notre diplomatie par inclination autant que par calcul. Il s’appliquait à la familiariser avec l’idée d’une grande Prusse. Comme politique, il était de l’école de M. de Bismarck, il soutenait les mêmes thèses avec moins de verve, mais avec plus de charme ; il excellait dans l’art de persifler et de discréditer les petits souverains de la Confédération, et à Francfort, à la veille de la guerre, il prouva au sein de la diète qu’il savait aussi par des traits incisifs les pousser aux résolutions extrêmes. Mais tout habile et tout spirituel qu’il fût, il n’était pas exempt de faiblesses ; enclin à la vanité, il était d’une susceptibilité maladive. M. de Bismarck connaissait ses travers ; tant qu’il trouva en lui un auxiliaire utile, il fit semblant de les ignorer ; mais le jour où il put le soupçonner de convoiter le litre de chancelier de la Confédération du Nord, il s’appliqua à l’exaspérer et à le pousser à bout. M. de Savigny donna sa démission avec un tel éclat, que le roi dut l’abandonner comme il abandonna plus tard son beau-frère, M. Harry d’Arnim, au ressentiment de son ministre. À quelques jours de là, M. de Bismarck répondait à M. de Schleinitz, qui le félicitait de sa présidence : « Vous pouvez me féliciter doublement, car non-seulement je suis chancelier, mais j’ai encore la bonne fortune d’être débarrassé de Savigny ! » Ce fut l’oraison funèbre de vieilles relations et de bien des services rendus.