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les marchands de chiens, les marchands de bric-à-brac, les dentistes en plein vent, les joueurs de gobelets qui obstruaient la place non pavée, faite de crotte ou de poussière, selon la pluie ou le soleil. La rue du Doyenné, la rue des Orties qui longeait la grande galerie, la rue Saint-Thomas-du-Louvre, la rue Froidmanteau, que les nouveaux pavillons du ministère des finances ont remplacées, rétrécissaient la place où s’entassait la foule des curieux. L’entrée principale donnait accès à un vaste péristyle où tombait la première marche du grand escalier construit par Fontaine et Percier qui n’existe plus. La réunion du Louvre aux Tuileries a tellement modifié cet emplacement qu’il n’est plus reconnaissable. Vers midi moins un quart, on commençait à se masser en rangs profonds devant la porte close ; il y avait des poussées formidables et qui portaient un autre nom. Parfois un cri jeune et vibrant, un cri de rapin révolté, retentissait ; « l’Institut à la lanterne! » On riait, et quelque vieux « classique » fourvoyé au milieu de nos bandes, disait : « Où allons-nous, mon Dieu! où allons-nous? » Au premier coup de l’horloge sonnant midi, la porte s’ouvrait à deux battans, et le gros suisse vêtu de rouge, en culottes courtes, le tricorne au front et la hallebarde au poing, apparaissait sur le seuil. C’était une clameur : «Vive le père Hénaut! » On se précipitait. L’escalier était franchi; chaque artiste parcourait le livret pour voir si son nom y était inscrit et l’on pénétrait dans le salon carré.

L’exposition de 1847 fut intéressante. Pendant que les « bourgeois » s’extasiaient devant la Judith d’Horace Vernet, les romantiques, — il y en avait encore, — les révolutionnaires, — il y en a toujours, — criaient de joie devant les Romains de la décadence de Couture, devant la Fantasia marocaine, devant la Barque des naufragés d’Eugène Delacroix. — Là, près des tableaux de Delacroix, qui étaient loin d’être acceptés par le public, on se groupait, on se traitait de perruques et de barbares, on huait, on battait des mains, et l’on discutait à coups de poing. Dans la grande galerie, au second ou troisième rang, un tableau était accroché, que l’on semblait avoir placé si haut et si mal pour le soustraire aux regards : c’était le Combat de coqs de Gérôme, qui débutait. La foule le découvrit et s’arrêta. Théophile Gautier survint, devant qui l’on s’écarta. Il contempla le tableau, puis, se tournant vers Gérard de Nerval auquel il donnait le bras, il dit : « Voilà un maître. » Gautier ne s’était pas trompé, une nouvelle école venait de naître; le chef des pompéistes s’était révélé. Pour la première fois, Isabey, renonçant aux tableaux de marine dont il semblait partager la spécialité avec Gudin et Eugène Le Poitievin, abordait la peinture de genre par une toile d’un éclat extraordinaire ; sa Cérémonie dans une église de Delft (XVIe siècle) prouvait qu’il était un coloriste de