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été le refuge des poètes qui ne sentaient dans leur génie ni assez d’abondance, ni assez de force pour attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentimens, et de l’élégance de l’expression. » Fénelon, dans sa Lettre à M. Dacier sur les occupations de l’Académie française, témoigne que « M. Racine, qui avait fort étudié les grands modèles de l’antiquité, avait formé le plan d’une tragédie française d’Œdipe, suivant le goût de Sophocle,.. et suivant la simplicité grecque, il n’y eût mis aucune intrigue nouvelle, et surtout aucune intrigue postiche d’amour. » Un tel spectacle aurait pu être « très curieux, très vif, très rapide, très intéressant... Il ne serait point applaudi, ajoutait le fin prélat; mais il saisirait, il ferait répandre des larmes, il ne laisserait pas respirer!.. » — C’est justement l’effet que produit aujourd’hui Œdipe, nettoyé de « ces heureux épisodes, » dont s’applaudissait naïvement le grand Corneille, quand il se vantait de n’avoir point fait de pièce où il se trouvât tant d’« art » que dans celle-là; de ces épisodes que Voltaire, à son tour, fut contraint d’y glisser, parce que l’actrice qui représentait Dircé dans l’Œdipe de Corneille lui dit quand il apporta le sien : « C’est moi qui joue l’amoureuse, et, si on ne me donne un rôle, la pièce ne sera pas jouée; » — c’est l’effet que produit Œdipe, enfin restitué, ainsi que Napoléon l’aurait voulu voir, si nous en croyons le Mémorial. Il n’est pas « applaudi » comme le Cid, parce qu’en France, l’amour seul ravit tous les cœurs au théâtre, — au moins dans un sujet qui le comporte et le réclame; — il n’est pas applaudi, mais « il saisit et ne laisse pas respirer. »

J’ai cité déjà plusieurs fois Voltaire ; son témoignage est particulièrement curieux sur cette question de la simplicité d’Œdipe; il la plaignit d’abord, il l’exalta ensuite; toujours il la reconnut, « Corneille, écrit-il dans sans sa quatrième Lettre sur Œdipe, sentit que la simplicité, ou plutôt la sécheresse de la tragédie de Sophocle, ne pouvait fournir toute l’étendue qu’exigent nos pièces de théâtre. Il fallait qu’il suppléât par la fécondité de son génie à l’aridité de la matière. » Vous êtes orfèvre, monsieur Josse ! Voltaire écrivait cette lettre peu de temps après que les comédiens l’avaient forcé d’introduire de la galanterie dans son Œdipe. Plus tard, dans ses Remarques sur Œdipe, il écrivit plus sincèrement : « On parle toujours mal quand on n’a rien à dire. Presque toutes nos tragédies sont trop longues; le public voulait pour ses dix sous avoir un spectacle de deux heures; le parterre voulait des épisodes d’amour... Il semble qu’alors on se fît un mérite de s’écarter de la noble simplicité des anciens, et surtout de leur pathétique... Corneille a voulu intriguer ce qu’il fallait laisser dans sa simplicité majestueuse : tout est perdu dès ce moment. » Et plus loin :