Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE DRAMATIQUE

RÉOUVERTURE DES THEATRES. — ŒDIPE ROI A LA COMÉDIE-FRANÇAISE.

En ce temps-là, c’est-à-dire en l’été de l’an de grâce 1881, une surprenante nouvelle émut les directeurs des théâtres de Paris. L’un d’eux, M. Émile Perrin, membre de l’Académie des beaux-arts et qui avait administré l’Académie de musique et de danse avant de présider aux destinées de la Comédie-Française, crut pouvoir profiter de la belle saison, qui est la vilaine au regard des contrôleurs de théâtre, pour offrir à la fois un discret sacrifice aux dieux de l’ancienne Grèce et au démon de l’Opéra : entre deux représentations du Monde où l’on s’ennuie, un soir qu’il faisait chaud, il glissa l’Œdipe roi, — l’Œdipe roi, de Sophocle, traduit par M. Jules Lacroix, du même coup, mot à motet en français. Par là, sans doute, il pensait réjouir ses collègues de l’institut et se donner à lui-même le plaisir de croire, en regardant manœuvrer les chœurs et en écoutant des airs composés par M. Membrée, qu’il gouvernait encore une grande scène lyrique. L’attention du public ne serait sûrement pas attirée par cette innocente cérémonie ; Œdipe roi passerait comme tragédie d’été ; Sophocle « ferait » sans bruit « les lendemains » de M. Pailleron. Mais voilà que ce soir-là, vers minuit, la nouvelle roula par es boulevards, qu’Œdipe roi « était un succès, » et que ce sournois de Sophocle, dont personne ne se méfiait, avait autant de malice que M. de Bornier. Ainsi l’avait décidé une assemblée de critiques, gens, comme on sait, toujours un peu hellénistes par profession ; et leur jugement était soutenu par les spectateurs habituels des « premières », qui, presque tous, sont bacheliers. Quelques-uns avaient bien essayé de plaisanter ce chef-d’œuvre