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le vent redoublait de violence ; les filets n’attrapaient rien ; la couleur du ciel devenait de plus en plus menaçante. Wilfred lui-même proposa de rentrer, et Mme de Waldeck, qui s’était conduite en Spartiate, finit par avouer qu’elle mourait de froid et de fatigue ; cependant aborder à Eaglescrag était impossible. Il y avait un peu plus haut sur la côte une petite anse où, comparativement, le ressac ne se faisait point sentir. On poussa le bateau de ce côté sans beaucoup de peine, et vers trois heures de l’après-midi, les pêcheurs touchèrent terre, comme les premières gouttes se mettaient à tomber ; mais ils n’avaient pas fait vingt pas sur le galet que l’orage éclata, ouvrant des cataractes.

— Vous serez trempée, dit Wilfred à Mme de Waldeck, abritez-vous plutôt sous la falaise ; il y a là des cavernes très commodes : et vous, mon cher Hubert, courez à la maison dire à Nellie que nous sommes sains et saufs, elle doit être inquiète.

Saint-John faillit faire observer que le manteau goudronné, qui avait résisté à l’assaut des vagues, pourrait aussi bien protéger contre la pluie l’héroïne de cette maussade journée, mais il s’abstint. Sa tâche ingrate était achevée ; elle avait duré cinq mortelles heures, et maintenant il comprenait que, si Wilfred tenait à rester seul avec la dame de ses pensées, rien ne pourrait l’en empêcher. Sans répondre, il se dirigea donc vers le bois de sapins qui avançait sur le rivage à une centaine de mètres environ ; de là un sentier conduisait aux jardins d’Eaglescrag.

Pendant ce temps, Nellie s’était traînée jusqu’à l’école du village ; elle avait un grand mal de tête et ressentait une lassitude inouïe dans tous les membres ; n’importe ! elle voulait s’intéresser à quelque chose, se distraire. Après avoir parlé aux maîtresses et interrogé les enfans avec la douceur qui la faisait aimer de tous, elle s’en alla par le chemin le plus long, celui qui conduisait à la mer : l’après-midi tout entière était encore devant elle ; comment l’employer ? Elle irait s’asseoir dans son petit coin favori, sous les sapins, et la brise fraîchissante apaiserait peut-être cette fièvre qui la dévorait. Tout en marchant, elle songeait aux pauvres institutrices communales à qui elle venait de porter des encouragemens.

— Comme je voudrais être encore l’une d’elles ! se disait lady Athelstone, gagnant mon pain quotidien et berçant au fond de moi-même un idéal que rien ne pourrait détruire ! Je l’aurais emporté au tombeau avec moi ! Et tout est fini !.. rien ne renaîtra plus !

Quand elle atteignit le petit bois où elle aimait à s’asseoir, le vent était devenu furieux : il courbait les arbres et couchait les longues herbes, mais, au-dessous, la falaise, creusée de façon à offrir un abri, formait une série de grottes naturelles frangées de racines pendantes.