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Mme Whiteside. Il fallut que ses banquiers l’avertissent qu’il se ruinait pour que lord Athelstone consentît à envisager sa situation. Ce fut alors que Mme de Waldeck lui suggéra l’idée d’une série de conférences dans les principales villes des États-Unis : elle affirmait que son nom était déjà célèbre là-bas, que la curiosité d’entendre un lord socialiste attirerait des foules, et qu’en trois mois il recueillerait quatre mille livres sterling avec les plus flatteuses ovations… sans parler de l’agrément du voyage.

Cette proposition le déconcerta d’abord, mais il s’y habitua par degrés ; son principal souci était de laisser Nellie seule, surtout depuis que le mariage de lady Athelstone rendait douteux qu’elle dût rester à Londres, et en tout cas s’occuper constamment de sa belle-fille. Mais il appellerait une parente quelconque auprès de la jeune femme, et quant à l’opposition qu’elle pourrait faire à son départ, il ne l’admettait pas ; elle s’était toujours soumise avec tant de docilité à ses moindres fantaisies ! Tout dépendait de la manière de présenter les choses et il se savait expert dans cet art-là. SyIvia Brabazon fut l’unique confidente de son projet. Pourquoi lui en avait-il parlé à brûle-pourpoint, sachant qu’elle ne manquerait pas de le désapprouver ? Parce qu’il était irrité de son calme et qu’il espérait peut-être l’amener à discuter cette idée, ne fût-ce que pour lui prouver qu’elle n’avait plus sur lui aucune influence. C’était puéril, enfantin, soit, mais, de fait, lord Athelstone, âgé de vingt-cinq ans, réformateur et poète, n’était guère qu’un enfant gâté.


XXVII.

Il n’y avait pas de lieu au monde où le bonheur intime pût s’abriter plus délicieusement qu’à Eaglescrag, le cottage loué par Wilfred sur la côte occidentale du pays de Galles. Ce n’était qu’un bâtiment très simple, élevé d’un étage, mais sa situation, presque au bord d’une falaise boisée de noirs sapins, contre laquelle venait se briser la, mer, lui prêtait un charme incomparable. Eaglescrag avait été construit par un amiral en retraite, qui s’était plu à y entasser toute sorte de curiosités exotiques et ses héritiers le louaient tel qu’il l’avait laissé. Dans le salon chinois, où mille oiseaux bizarres perchaient sur des arbres de dimensions impossibles, où les meubles indiens s’entremêlaient aux porcelaines du Japon et à de grandes jarres d’airain d’un travail oriental, Nellie étudiait son piano durant de longues heures avec la persuasion qu’en devenant musicienne, elle se rendrait agréable à Wilfred, tandis que celui-ci, dans la pièce voisine, maudissait tout bas les exercices qui l’empêchaient de se recueillir. Ses journées furent prises tout entières par un travail fiévreux, jusqu’au jour où le manuscrit, confié à la