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— Ma femme n’est pas tout à fait à sa hauteur, et…

— Je me trouverais sans doute dans le même cas, interrompit Sylvia en souriant.

Puis elle le chargea d’un souvenir affectueux pour Nellie et rejoignit ses amis, qui continuaient de regarder les tableaux.

Quelques jours après cette rencontre, une nouvelle imprévue se répandit dans le monde ; lady Athelstone douairière, après avoir longtemps balancé, venait d’accorder sa main à l’évêque d’Oporto. Désespérant de pouvoir diriger son fils ou seulement d’atténuer ses folies, elle s’était dit qu’elle ne songerait plus qu’à elle-même. Or quel parti pouvait mieux convenir à une femme de son âge que ce prélat charmant et courtois, dont la situation sociale permettait en l’épousant de ne pas déroger ? Wilfred trouva tout naturel le choix de sa mère ; il était préparé à ce qu’elle se remariât, et six mois plus tôt il eût agréé un tel beau-père sans aucune répugnance. Sur un seul point cette union le contraria ; elle rendait plus difficile à réaliser certain projet pour l’exécution duquel il avait compté sur l’aide de sa mère ; désormais les mouvemens de celle-ci dépendraient de la volonté d’un autre : il n’en serait plus l’arbitre.

Un matin, il entra dans la chambre de Nellie et lui dit sans préambules : — Je vais louer Athelstone pour une année au moins.

— Louer Athelstone ! Pourquoi ?

— Je ne me soucie pas d’y retourner. Quelques-uns des voisins se sont conduits envers vous. J’ai reçu du clergé des environs nombre de remontrances peu convenablement au sujet des opinions que je professe. Il me serait désagréable d’être en contact avec ces gens-là jusqu’à nouvel ordre. D’ailleurs, on m’a fait des offres très avantageuses.

— Votre mère sera désolée…

— Furieuse ; mais qu’y puis-je ? Il vaut mieux que le château soit habité que désert, et comme l’hiver prochain…

Il s’interrompit brusquement et reprit : — Ma mère m’accusera de diminuer ma position dans le pays, de déroger enfin ; mais je compte sur l’évêque pour lui faire entendre raison. Et quant à nous, chère amie, nous irons passer trois mois dans un cottage du pays de Galles, si cela ne vous déplaît pas.

— Me déplaire, Wilfred ! Je m’y plairai au contraire avec vous bien mieux qu’à Londres.

Wilfred n’expliqua pas les véritables motifs qui le décidaient à louer Athelstone. Ses dépenses avaient, cette année-là, excédé de beaucoup son revenu ; il répondait trop magnifiquement à tous les appels faits à sa bourse. La fortune qui avait suffi au train de vie très large et très hospitalière pourtant que son père menait à la campagne ne permettait pas de semblables prodigalités. Nul ne se doutait des sommes qui avaient passé entre les mains de la seule