Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/408

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

majestueuse. Une draperie couleur de neige relevée par des broches d’un dessin grec tombait à longs plis autour d’elle, laissant ses bras nus jusqu’à l’épaule. Elle n’avait pas de gants; un bracelet en forme de serpent s’enroulait au-dessus de son coude, et ses cheveux noirs étaient retenus par les mailles d’or d’un filet. Dans cet accoutrement sculptural elle était très frappante, on ne pouvait le nier, et la pensée de l’effet qu’elle eût produit sur la scène vous venait à l’esprit tout d’abord. Le seul défaut considérable de sa personne était caché par une tunique traînante : la statue reposait sur des bases lourdes et vulgaires, ses pieds, toujours invisibles, passaient pour être de dimensions colossales. Quant au visage, il était curieux à observer, singulièrement attrayant pour quelques-uns, franchement répulsif au gré des autres. — A sa physionomie l’on voit que c’est une femme compliquée, — avait dit d’elle un peintre français. L’expression de la bouche au repos était dure, celle des yeux sans pitié; de ces yeux pleins d’éclat on ne pouvait sonder la profondeur, toujours ils étaient sur leurs gardes : impossible d’y plonger par surprise; le nez, trop fort, n’était beau que de profil, mais les manières avaient toute sorte de séductions et la confiance de cette femme en elle-même était étonnante. Rien ne la déconcertait, jamais elle ne changeait de couleur, sa voix ne s’altérait qu’à volonté. Il était dans son système de prendre autant de peine pour plaire aux femmes que pour captiver les hommes et généralement elle réussissait; pourtant certaines personnes de son sexe la détestaient à première vue; et parmi ces personnes figura tout d’abord la jeune lady Athelstone.

Mme Whiteside, un radieux sourire sur les lèvres, vint au-devant de Nellie :

— Combien je me réjouis de vous connaître enfin, chère lady Athelstone! il y avait longtemps que je le désirais; d’abord parce que vous êtes la femme d’un grand poète dont le nom sera glorifié dans les siècles futurs comme celui d’un des bienfaiteurs de l’humanité, et puis... — M Whiteside s’embarrassa dans une phrase peu intelligible qu’elle n’acheva pas, mais qui impliquait que le principal mérite de cette grande dame était de sortir du peuple, et Nellie, qui avait beaucoup de tact naturel, se sentit fort mal à l’aise; elle s’étonnait que Wilfred parût savourer l’encens grossier qui s’adressait à lui ; elle était choquée des complimens directs que prodiguaient sans aucune mesure ces gens en rébellion ouverte contre les usages du monde. Son mari l’avait quittée pour aller causer avec une dame vêtue en muse, que bientôt il lui présenta :

— Mme de Waldeck, Nellie.

Les yeux de la femme émancipée se fixèrent scrutateurs et brillans