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de toutes les célébrités et de toutes les excentricités, elle ouvrait son salon à la fois aux représentons des sectes régicides et aux royalistes persécutés, aux philosophes allemands et aux spirites américains, aux hommes politiques méconnus, aux actrices d’un talent douteux. Une telle femme devait s’estimer trop heureuse de recevoir lord Athelstone : sa réputation, son rang dans le monde, son dédain surtout pour tous les préjugés de sa caste, la ravissaient; un grand seigneur qui commence par attaquer de front la société dans ses vers et qui continue son œuvre de défi en épousant une maîtresse d’école de village, quelle recrue pour le salon d’une réformatrice! De son côté, lord Athelstone fut attiré par les aspirations généreuses, par la grande sincérité, peut-être aussi par les flatteries ingénues de cette femme de cinquante ans, qui portait les cheveux coupés courts dans un esprit démocratique, des lunettes en signe de clairvoyance, et réprouvait énergiquement l’usage des traînes. Elle le conjurait de soutenir devant la chambre des lords les causes qu’elle avait à cœur, et propageait ses poésies en brochure à la façon de ces petits traités de dévotion qu’aiment à distribuer les protestantes. Ce fut chez elle que Wilfred rencontra une autre femme émancipée beaucoup plus dangereuse, Mme de Waldeck, une Anglaise intelligente et belle que le divorce venait de débarrasser d’un mari prussien en vertu de la facilité que les lois allemandes offrent sous ce rapport. Non contente d’avoir reconquis sa propre liberté, elle comptait exhorter, dans une série de conférences, d’autres victimes à l’imiter, et d’abord, elle avait commencé une croisade sur le chapitre du costume féminin, dont elle mettait personnellement la future réforme en pratique : la simplicité grecque, tel était son idéal : mais les femmes les plus vaines avaient peine à croire qu’elles pussent arborer le péplum avec autant de succès que Mme de Waldeck, qui, sous le rapport plastique, était irréprochable. Les hommes, en revanche, Athelstone parmi eux, étaient tout disposés, en présence des perfections de l’audacieuse réformatrice, à crier anathème contre le corset.

Sur ce point, Mme Whiteside ne se rangeait pas absolument de l’avis de son amie, car elle sentait pour son compte la nécessité d’être soutenue; à la rigueur, elle eût accepté les sandales, ayant un joli pied, comme le prouvait sa robe courte, mais il est certain que les conférences de Mme de Waldeck sur la réforme du costume la laissaient infiniment plus tiède que ses conférences sur le divorce. M. Whiteside, retenu presque toujours en Russie par le commerce des cuirs, était cependant le plus débonnaire des maris; n’importe, sa femme oubliait, pour la question du divorce, les autres questions d’affranchissement et de philanthropie qui la passionnaient d’ordinaire; elle imposait des billets à tous les habitués de son salon afin