Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/404

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

glissa sur Rome. Lord Athelstone, sans quitter des yeux l’horizon, demanda tout à coup à Hubert s’il savait ce qu’étaient devenues les dames Brabazon. Pour la première fois depuis son mariage, il prononçait leur nom.

— Elles sont en Angleterre.

Il fit un mouvement brusque.

— Elles habitent une terre que leur a laissée l’hiver dernier en mourant l’oncle de M. Brabazon.

Wilfred tira par saccades quelques bouffées de son cigare.

— Miss Brabazon sera lasse de cette vie-là avant six mois, dit-il d’une voix brève. Vous figurez-vous Sapho ou Corinne convertie à la vie rurale en Angleterre ? C’est trop prosaïque pour elle.

— J’aurais cru, repartit Saint-John, que, vivant tout à fait en elle-même, elle était peu accessible à l’effet des objets environnans ; mais vous la connaissez beaucoup mieux que moi.

Nellie rougit légèrement et répondit pour son mari :

— On ne peut se figurer miss Brabazon menant l’existence commune aux autres femmes ; elle est tellement au-dessus d’elles toutes…

— Que les détails vulgaires de la vie domestique doivent lui être insupportables, poursuivit amèrement Wilfred. Ces natures supérieures n’ont ni souplesse ni tolérance ;.. elles vivent sur les hauteurs, dans une atmosphère essentiellement pure et raréfiée ;.. respirer à un autre niveau leur serait impossible.

Après cette conversation, Saint-John écrivit à sa cousine : « Je m’en doutais ; Athelstone tient toujours, à son insu peut-être, les yeux levés vers la haute tour qu’il convoite encore, en songeant avec regret qu’il aurait pu s’en rendre maître s’il eût un peu persévéré. C’était une affaire de temps et de résolution ; or la véritable résolution lui manquera toujours pour le bien ou pour le mal ; il est obstiné dans ses opinions, auxquelles ses actes ne se conforment guère. Par découragement, il est entré dans la riante villa qui l’attendait, toutes portes ouvertes, et depuis il s’efforce de croire qu’il a bien choisi, que c’est la demeure qui lui convient, mais il se trompe encore. Je le vois impatient, inquiet, bien éloigné de la parfaite satisfaction. Ne croyez pas que j’exagère par chagrin : il aime sa femme à sa manière, et elle l’adore… Tant pis, car une affection plus tiède pourrait se contenter de ce qu’il lui donne, tandis que cette sensitive se blesse à toutes les épines qui parsèment son chemin. »


XXV.

Hubert ne put se résoudre à quitter Brighton tant que lady Athelstone y resta. Il trouvait vis-à-vis de lui-même les meilleurs