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Civilité puérile et honnête et les Contes de Perrault. Ces quelques ouvrages formaient à peu près tout le fonds des bibliothèques scolaires, et ce n’était pas à vrai dire un fonds bien riche. L’élément religieux le surnaturel y tenait manifestement une place excessive, au détriment de l’histoire nationale et de ces premières notions d’économie rurale et domestique si nécessaires à répandre. Mais si le nombre et la variété des livres qui entraient dans les écoles étaient insuffisans, leur innocence au moins ne laissait rien à désirer, renseignement qui s’en dégageait en somme était irréprochable, très moral et très élevé. La Civilité puérile elle-même, dont on s’est tant moqué, comme de beaucoup de choses, sans la connaître, sur son titre seul, n’était pas sans mérite. Elle contenait bien quelques longueurs et quelques superfluités, des détails oiseux ou par trop enfantins, mais en même temps que d’indications pratiques et de recommandations judicieuses ! Quel utile manuel des bonnes manières et du bon ton, du maintien et de la politesse à observer en société ! On attachait autrefois beaucoup d’importance à cette partie de l’éducation, — à preuve que la première Civilité puérile est signée d’un des plus grands noms de la renaissance, Erasme. — On ne trouvait pas suffisant que l’enfant reçût une forte instruction religieuse et morale, on voulait encore qu’il apprît à se tenir convenablement avec ses égaux, avec ses inférieurs et surtout avec ses supérieurs. On tenait à le familiariser avec ces formes extérieures du respect, qui ne sont pas toujours le respect lui-même, mais qui contribuent singulièrement à le maintenir, et, sous ce rapport, la Civilité puérile était le meilleur et le plus sûr des guides.

Dans un autre ordre d’idées, les Contes de fées rendaient aussi de singuliers services. Sans doute, on pouvait leur reprocher d’abuser du merveilleux et de surexciter à l’excès les facultés Imaginatives par des récits fantastiques et souvent terribles. Mais comme ils attachaient l’enfant, comme ils savaient lui rendre la morale attrayante, et sous quelles riches couleurs ils lui peignaient la vertu ! Comme ils faisaient travailler son esprit surtout ! Prenez le Petit Poucet par exemple, et cherchez dans toute la littérature un morceau comparable à ce chef-d’œuvre, aussi pathétique et aussi mouvementé ; cherchez un héros qui, pour des gamins de huit à douze ans, vaille ce bonhomme de leur âge. Vous ne trouverez nulle part, même dans Homère, ni un drame aussi rempli de péripéties, ni un personnage aussi complet et aussi extraordinaire, réunissant en soi plus de qualités, le courage, le sang-froid, la sagesse, l’amour fraternel. Le duel de l’Ogre et du petit Poucet est cent fois plus palpitant que celui d’Ulysse et du Cyclope. Entre Ulysse et le Cyclope la partie n’est pas douteuse. Polyphème est plus fort, mais il n’a qu’un œil et