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rien ; du devoir en général, rien. Dans l’homme elle ne voit qu’une chose : le citoyen actif, l’électeur. Le devoir, elle le fait consister uniquement dans l’amour de la république et dans l’observation des commandemens républicains. Son évangile, sa loi, son idéal, son tout enfin, c’est la constitution ; elle et rien qu’elle. Maintenant prenez l’enfant, et demandez-vous si l’ancien régime ne convenait pas mieux à son esprit, s’il n’en recevait pas une plus durable et salutaire empreinte. Comparez les deux systèmes : d’un côté, le culte étroit et borné d’une forme de gouvernement, c’est-à-dire d’un objet essentiellement incertain, contingent, un culte abstrait, incapable de parler aux sens et par eux à l’imagination, sec et froid comme un théorème de géométrie ; d’autre part, une doctrine immuable, embrassant dans sa généralité tout l’homme intellectuel, lui prêchant toutes les formes du devoir, tantôt ouvrant à son imagination l’éblouissante perspective des félicités éternelles, tantôt lui montrant par-delà cette vie les horreurs de la damnation ; ici, de solennelles déclarations, de pompeuses formules, des généralités et des mots vides de sens pour déjeunes cerveaux : le contrat social, la souveraineté du peuple, l’unité et l’indivisibilité de la république ; là, partout des images et des formes concrètes, tangibles, partout le mouvement, la couleur et la vie, le bon Dieu dans les nuages, Jésus rédempteur sur sa croix, la Vierge dans une gloire, un ciel peuplé d’anges roses, un enfer tout rempli de petits garçons qui n’ont pas été sages. Quel contraste et combien concluant, péremptoire ! Avec quelle force il fait éclater la supériorité de l’ancienne pédagogie ! Comme elle était plus haute et cependant plus accessible, plus large et néanmoins plus compréhensible ! Comme elle prenait mieux la mesure de l’enfant et comme elle savait mieux l’intéresser, l’émouvoir ! J’accorde qu’elle ne se donnait pas beaucoup de peine pour former le citoyen, mais entre ce défaut et l’erreur fondamentale consistant à traiter l’homme comme une espèce d’animal politique, à l’élever uniquement en vue de sa future condition d’électeur et de garde national ou de fonctionnaire public, en vérité l’écart est grand. J’aperçois bien un sectionnaire, un clubiste, surtout un bavard dans ce bambin nourri d’emphase et de lieux-communs révolutionnaires ; je cherche en vain le brave et l’honnête homme que faisaient les petites écoles.

Mais poussons plus loin cette comparaison ; de la théorie passons à la pratique ; étudions les documens. Car si la valeur d’un système d’éducation dépend beaucoup des idées dont il s’inspire, elle se mesure encore plus exactement peut-être aux instrumens qu’il emploie, c’est-à-dire, dans l’espèce, aux livres de classe et de lecture. Sous l’ancien régime, les ouvrages suivis dans les petites écoles étaient, après le Catéchisme, l’Histoire sacrée, la Vie des saints, la