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d’une jeune femme dans tout le rayonnement de sa grâce et de sa beauté. C’était Mme Paul Delaroche, fille d’Horace Vernet. Elle était charmante, d’une gracilité délicate, blanche, élégante, fine et blonde « comme les blés ; » elle avait un beau regard bleu dont la chasteté n’affaiblissait pas la profondeur. Si les statues de vierges que le moyen âge a sculptées au portique des cathédrales quittaient leur niche de pierre pour marcher au milieu des hommes, elles auraient cette attitude à la fois souple et réservée que nous admirions et à laquelle la mort allait bientôt donner sa rigidité. Paul Delaroche a fixé ses traits pour toujours : n’est-ce pas elle qui, dans l’hémicycle de l’École des beaux-arts à Paris, symbolise la peinture gothique ? Deux beaux enfans couraient alors autour d’elle, et son mari semblait veiller paternellement sur sa frêle santé.

Paul Delaroche représentait bien peu l’idée que l’on se fait ordinairement des artistes. En lui rien d’abandonné, rien d’original ; sa rectitude était trop correcte ; on sentait qu’elle était méditée. Il croyait ressembler à Napoléon Ier ; son visage rasé, une mèche de cheveux volontairement ramenée sur le front, la main passée dans le gilet, la raideur du maintien, la brièveté de la parole, la froideur du masque surveillée avec soin, tout prouvait que la comparaison ne lui déplaisait pas et qu’il aimait à la faire naître. On m’a dit, à cette époque même et dans les salons de la villa Médicis, qu’il regrettait d’être peintre et qu’il se croyait des aptitudes pour la diplomatie. Il ne m’a pas pris pour confident, mais cela est possible. Ingres, lorsqu’on louait un de ses tableaux, disait : « Ah ! si vous m’entendiez jouer du violon ! » Que Paul Delaroche se soit trompé le jour où il s’est résolu à faire de l’art, je n’en disconviens pas ; mais il y trouva une récompense qui aurait dû le rendre indulgent pour lui-même et ne pas lui permettre de s’égarer en regrets stériles. Toutes les qualités que donnent la volonté, l’instruction, le désir de bien faire, la persévérance, Delaroche les posséda ; quant aux qualités innées, à celles qui seules créent les grands artistes, elles lui furent étrangères. Il prouva jusqu’où peut aller le résultat de l’application, il ignora ce que produit l’originalité servie par une main habile. C’était un peintre de genre qui crut faire de la peinture d’histoire en agrandissant ses tableaux ; erreur capitale qu’il ne put jamais parvenir à comprendre et qui le confina pour toujours dans la peinture anecdotique. Malgré sa réputation, malgré l’estime qui l’environnait, malgré la respectueuse affection dont ses élèves l’entouraient, il n’était pas heureux et se croyait méconnu. Il était sensible à la critique, qu’on ne lui avait pas ménagée, et depuis longtemps n’envoyait plus ses tableaux aux expositions annuelles. Il ignorait que la gloire est faite de bruit et que les sifflets sont aussi retentissans