Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’Himalaya, les Cordillières, les Andes du Chili, aussi bien que les Montagnes Rocheuses, en sortant de l’Europe, montreraient des indices multiples de la même influence. Le phénomène est certain et sa généralité, nous ne disons pas son universalité, ne saurait être sérieusement révoquée en doute. Les divergences commencent lorsqu’il s’agit d’en apprécier la portée e-t d’en fixer le sens véritable.

Nous avons touché un mot des opinions excessives d’Agassiz et de ses tendances à étendre au globe tout entier, non-seulement les phénomènes dont il pensait avoir observé presque partout des traces, mais les conséquences attribuées par lui à ces phénomènes. Au fond du Brésil, eu pleine région tropicale, il avait cru retrouver d’anciens glaciers et, comme il était partisan des créations successives venant à la suite de destructions qui auraient motivé chaque fois l’apparition de nouvelles espèces, comme de plus il ne doutait pas du froid violent qui avait dû accompagner l’extension des glaciers, il n’hésita pas à admettre que le globe entier, en proie à une crise d’une extrême violence, avait vu périr à un moment donné toutes les espèces, soit animales, soit végétales. Dans sa pensée, les êtres organisés de notre époque auraient été ensuite créés successivement, à mesure que le sol se découvrait par la fonte des glaces.

Il suffit, pour renverser cette théorie, de remarquer que, non-seulement elle est contraire à la réalité des faits, mais qu’en l’invoquant on commet une véritable pétition de principe, puisque l’on suppose le froid en le donnant comme preuve à l’appui d’une prétendue destruction des êtres qui serait elle-même à prouver. Comme rien au contraire n’est plus invraisemblable que cette destruction, l’hypothèse destinée à l’expliquer devient inutile. Les preuves abondent ici tellement que l’embarras du choix est le seul obstacle auquel on se heurte.

Un étroit enchaînement relie les animaux et les plantes actuelles à ceux des derniers temps tertiaires. On les voit se montrer les uns plus tôt, les autres plus tard, se mêler et s’associer si librement qu’il n’y a pas moyen de faire intervenir une révolution intermédiaire dont la conséquence aurait été une interruption de la vie.

Si nous considérons les végétaux, leur distribution géographique actuelle répond à des lois et reproduit des combinaisons dont la raison d’être et les linéamens relèvent des temps antérieurs. Même en plein tertiaire, on observe des plantes qui n’ont évidemment plus quitté les régions qu’elles caractérisent dès lors et qu’elles n’ont depuis cessé de caractériser; d’autres n’en ont été chassées que pour aller se réfugier quelques degrés plus loin dans la direction du sud. Ainsi, le peuplier blanc paraît à Meximieux, le tremble dans les cinérites du Cantal, le peuplier grisaille dans les marnes