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au fond da fiord Auleitsivik, par 68 degrés latitude nord, parcourut une distance de 30 milles au-delà de ce point. Les vues qu’il rapporta de ce voyage, reproduites par la photographie, rendent très exactement l’aspect désolé du pays; on se croirait transporté sur la croupe centrale du Mont-Blanc, au milieu de ces champs de Mace doucement inclinés qui vont aboutir au Jardin. Au Groënland, c’est aussi un vaste plateau ondulé et crevassé, parsemé d’éminences, mais partout recouvert par la glace et la neige. Des accidens viennent pourtant interrompre cette monotonie. Malgré la lenteur du mouvement général, l’assise glacée ne s’arrête pas; sa marche, combinée avec le dégel des courts étés de ces régions, provoque des fentes, de larges crevasses, même des dépressions qui constituent des vallées d’érosion, sans rapport avec la figure du sous-sol entièrement caché. La glace forme ici un autre sol superposé au premier qui n’est visible nulle part. Elle a ses infiltrations qui, sur une foule de points, jaillissent en sources, retombent en cascades et coulent comme de véritables fleuves. Nordenskiöld fut arrêté à son retour par une rivière considérable dont il remonta le cours jusqu’à son origine; il la vit s’échapper d’une crevasse perpendiculaire et, après l’avoir longée pendant longtemps, il dut renoncer à la traverser faute de pont.

La plupart des glaciers du Groënland, lorsqu’ils ont franchi toutes les barrières et suivi la voie déclive qui les conduit à la mer, plongent directement dans ses eaux ; ils forment un talus massif et cristallin qui ne flotte pas, mais qui descend plus ou moins profondément, gardant sa cohésion et prolongeant sa marche. Il vient cependant un moment où le poids des vagues ébranle et détache des blocs qui flottent aussitôt. Ce sont les glaces flottantes, ou icebergs, dont quelques-uns, il est vrai, proviennent de la ceinture littorale disposée en banquise ou même de la glace qui se forme, toujours en petite quantité, à la surface de la mer ; mais le plus grand nombre et les plus considérables de ces icebergs doivent certainement leur origine à la terminaison frontale des glaciers arctiques. Ces glaces flottantes atteignent parfois des dimensions étonnantes. Le docteur Hayes en a considéré, au nord de la baie de Melville qui mesuraient, selon lui, jusqu’à 27 milliards de pieds cubes et qui ne pesaient pas moins de 2 milliards de tonnes. Un autre iceberg aperçu par le capitaine Ross, à son premier voyage, plongeait dans l’eau jusqu’à 112 mètres et son poids fut évalué à 1,292,397,063 tonnes.

Les icebergs ont aussi joué un rôle considérable à l’époque quaternaire. Il est difficile de ne pas leur attribuer le transport d’une partie au moins des détritus glaciaires et des blocs erratiques distribués à travers l’Angleterre, l’Allemagne du Nord et les plaines