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fond des mers, se relèvent et se montrent à nu, il n’y a rien de surprenant à ce que les couches quaternaires soient à peu près inconnues, rien de surprenant à ce que l’étalon propre à mesurer la chronologie relative de cet âge ne soit pas entre nos mains. En revanche, dès que l’on s’enfonce dans le lointain des âges, la surface terrestre ou, pour mieux dire, la partie émergée de cette surface, incessamment remaniée, ne garde que des traits épars et isolés de ce qu’elle a été à un moment donné. Qui nous dira ce que furent, sauf dans les lignes les plus générales, les accidens du sol, le cours des rivières, les graviers et les limons de l’éocène, du miocène même, période déjà plus récente? Nous ne saurions le dire : quelques tufs démantelés, quelques dépôts geysériens, comme le sidérolithique, des poudingues d’une signification douteuse, c’est tout ce qui nous reste de la superficie terrestre de ces époques. Déjà cependant le « pliocène, » plus rapproché, nous laisse entrevoir plus clairement la disposition du sol contemporain, tandis que, par une conséquence inverse, les dépôts marins de cet étage tendent à se réduire par la raison péremptoire qu’ils ne sont que partiellement émergés. Au contraire, les grandes vallées où coulaient dès lors les fleuves laissent entrevoir leur direction ; les reliefs comme les dépressions s’accentuent ; on voit que les uns et les autres tendant à se rapprocher de ce qu’ils sont encore maintenant. Mais si l’on franchit un degré de plus et que l’on touche au quaternaire, on s’aperçoit que ce terrain est en géologie ce que Pompéi est pour l’archéologie : reliefs, fleuves, marais, sources, vallées et montagnes, distribution géographique des plantes et des animaux, phénomènes physiques et climatologiques, tout cela se retrouve à des indices à demi effacés, mais encore reconnaissables. Sur tous ces points, la ressemblance est frappante entre l’Europe d’hier et celle d’aujourd’hui. Les différences elles-mêmes sont mises en saillie par le rapprochement minutieux que l’on peut faire de l’état ancien avec le nouveau. L’analogie est trop intime pour que les contrastes eux-mêmes ne deviennent pas saisissans et faciles à déterminer pour celui qui observe avec méthode.

Un des paradoxes géologiques les plus persistans est celui qui plaçait dans le quaternaire, en lui attribuant une importance singulière, le phénomène connu sous le nom de « creusement des vallées. » — Si l’on avait voulu dire simplement que l’action des eaux, plus puissante pendant le quaternaire qu’elle ne l’était de nos jours, avait eu pour effet une désagrégation opérée sur une plus grande échelle des berges et des pentes; si l’on avait ajouté que par cela même il avait existé, à cette époque, une lutte prolongée contre les obstacles opposés par les accidens du sol au passage des courans et, par suite, une accumulation plus considérable