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prétexte de l’achat de quelques costumes pour Elisabeth. Le duc les vit le premier ; il se plaignit des difficultés que lui opposait la reine, elles lui semblaient bien dures ; il se refusait à croire que la reine voulût épouser un mari qui ne pratiquerait pas sa religion. Sur ces dernières paroles, il les congédia et les invita à se rendre chez la reine mère, qui les attendait. Catherine se plaignit également des restrictions imposées pour l’exercice de la religion de son fils ; tant que la reine ne relâcherait rien de ces conditions, il serait impossible d’aller plus avant. Elle parut regretter qu’on eût répété au duc les paroles de la reine, car ses défiances pourraient s’en accroître. Cavalcanti ne tarda pas à le reconnaître. « Le duc est si troublé, écrivait-il à Cecil, qu’il a fallu de chauds encouragemens pour le remettre au point où il semble revenu. » Walsingham s’en était également aperçu. « On remue beaucoup, écrivait-il à Cecil, pour entraver ce mariage. Le nonce, les ambassadeurs d’Espagne et de Portugal sont tous les jours en mouvement pour en détourner M. le duc. » Catherine, qui à ce moment encore désirait ce mariage, se montrait très mécontente de toutes ces menées. « L’humeur en laquelle est mon fils, confiait-elle à La Mothe, me fait beaucoup de peine. Nous soupçonnons fort que Villequier, Ligneroles et Sarret, possible tous les trois, sont les auteurs de ces fantaisies. Si nous pouvons en avoir l’assurance, je vous assure qu’ils s’en repentiront. » Charles IX ne se montrait pas moins irrité ; l’inimitié qui, plus tard, devint si violente entre les deux frères commençait à se faire jour. Une discussion très vive s’engagea entre eux à l’occasion d’une dépêche venue de Londres, discussion à laquelle assistait Catherine. « Mon frère, dit vivement Charles IX au duc, vous auriez dû être plus franc avec moi et pas me mettre dans le cas de tromper la reine Elisabeth, que j’estime et que j’honore. Vous alléguez toujours votre conscience ; mais il est un autre motif que vous n’avouez pas, c’est l’offre d’une forte somme que le clergé vous a faite, parce qu’il tient à vous garder ici comme le champion de la foi catholique ; je vous le dis franchement, je ne veux pas admettre ici d’autre champion que moi-même. Quant au clergé, puisqu’il a tant de superflu, et moi tant de besoins, les bénéfices étant à ma disposition, je m’en souviendrai et j’aviserai. Quant à ceux qui s’en font les entremetteurs, j’en raccourcirai quelques-uns de la tête. » À cette rude apostrophe le duc ne répondit rien, mais se retira dans ses appartemens, où il pleura le reste du jour.

Walsingham, en transmettant à Cecil le récit de cette scène, ajoute : « On a fait ce qu’on a pu pour me la cacher, mais la reine mère, sachant bien que j’en étois avisé, m’a prié de continuer mes bons offices et de ne pas communiquer ce que j’en avois appris. Je