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hâta d’écrire à Walsingham : « S’ils croient mettre ainsi à couvert l’honneur du duc, on ne le leur refusera pas, et faites semblant d’accepter. » En réalité, cette nouvelle mission n’avait pas fait avancer d’un pas la négociation ; ce n’est qu’avec la plus grande difficulté que les conseillers d’Elisabeth lui arrachèrent le présent d’une chaîne de 60 livres pour Larchant. Leicester, dans une lettre du 7 juillet à Walsingham, lui avoue que la reine ne s’y est pas portée avec un grand empressement, mais avec une sorte de résignation. Les résolutions d’Elisabeth étaient, la plupart du temps, subordonnées à une question de vanité. Comme on savait qu’elle était toujours très désireuse de connaître ce qu’on disait d’elle à la cour de France, on vint lui répéter qu’une grande dame, et des plus vertueuses, avait dit au duc d’Anjou : « Monseigneur, lorsque vous passerez en Angleterre, n’en usez pas comme tous les princes françois, qui vont toujours faisant l’amour aux dames. » Elle en fut très favorablement impressionnée. Le portrait du duc lui ayant été remis presque au même moment par Cavalcanti, ce simple présent fit plus sur son esprit que toutes les instances des ambassadeurs. Dès qu’elle l’eut reçu, elle fit appeler La Mothe-Fénelon, ayant hâte de lui en parler. Ce n’était qu’un simple crayon ; elle dit à La Mothe que, quoique le teint fût fort charbonné, le visage lui semblait d’une grande beauté et annonçait beaucoup de prudence et de dignité ; qu’elle était toute heureuse de reconnaître dans le duc la maturité d’un homme, car elle ne voulait pas être menée à l’église par un homme aussi jeune qu’en avait l’air le comte d’Oxford, pour que l’âge ne parût pas par trop inégal. Elle avoua à La Mothe avoir trente-cinq ans ; elle en dissimulait au moins deux. La Mothe lui répondit que les années n’avaient rien pu lui enlever de sa beauté et de ses perfections. Sa vanité étant ainsi surexcitée, elle écrivit spontanément au duc une lettre, qu’elle remit à Larchant au moment de son départ. « Monseigneur, lui disait-elle, combien que ma dignité excède ma personne et que mon royal rang me fait douter que mon royaume est plus recherché que moi-même, si est-ce que la réputation que j’ai entendue par mon ambassadeur et aussi par votre gentilhomme que avez conçu de quelques grâces miennes, me fait croire que la règle de notre affection se tirera par la force des choses plus excellentes qu’oncques ai connues en moi résider, et pourtant me fâche en pensant que mon insuffisance ne pourroit satisfaire à une telle opinion que M. de Larchant m’a déclaré que déjà en avez conçue, espérant que vous n’aurez occasion de vous en repentir de cet honneur que de jour en autre me faites. »

Larchant et Cavalcanti rentrèrent à Paris le 16 juillet. Catherine et le duc d’Anjou s’y étaient rendus de leur côté sous le