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de blâme en acceptant pour époux un homme qu’un si brusque changement de religion ferait passer à juste titre pour être sans conscience et sans piété. Walsingham répondit que la reine n’entendait pas que le duc changeât si brusquement de religion, ni que lui et les siens fussent contraints de pratiquer les rites de l’église anglicane, mais qu’elle ne pouvait, sans violer les lois du royaume, lui accorder l’exercice de sa religion ; ce serait s’exposer aux mêmes troubles qui tout récemment avaient déchiré la France. Catherine répliqua que « n’avoir pas le libre exercice de sa religion étant la même chose que d’en changer, aucune considération n’y pouvait déterminer son fils. La meilleure garantie contre les troubles qu’on semblait craindre, ce serait l’appui et le secours du roi son fils. » Walsingham reprit qu’il en résulterait plus de bien que de mal. « En Angleterre, les discordes civiles sont d’ordinaire soudaines et sanglantes ; mais de peu de durée, car il n’y a ni places fortes, ni villes murées pour prolonger la guerre. » Catherine changea de terrain, elle lui insinua que le duc avait plus de zèle que de savoir pour défendre sa religion, qu’il se laisserait bientôt et facilement vaincre par les bonnes persuasions de la reine, et qu’ainsi ce scandale, dont il s’effrayait tant, durerait bien peu de temps. Elle alla jusqu’à dire que, ce mariage pouvant amener de grands changemens dans la chrétienté, les catholiques le redoutaient ; c’était plaider la cause de l’anglicanisme. Walsingham demanda si elle consentait à ce qu’il fit part de cet entretien à Elisabeth ; Catherine l’en pria.

Jusqu’à ce jour, le duc d’Anjou n’avait pas pris part personnellement à cette négociation, Walsingham, qui le savait très prévenu, très résistant, se décida à aller le trouver à Gaillon, où la cour était alors. Entrant sans préambule dans le vif de la question, il dit qu’il avait ordre de la reine de lui représenter les graves inconvéniens qu’amènerait la libre pratique de sa religion, dont il faisait une condition. La reine n’entendait nullement le contraindre à changer de religion, et souhaitant seulement qu’il se passât de messe, elle le priait d’examiner de plus près s’il ne pourrait pas servir Dieu dévotement avec le formulaire des prières de l’église anglicane. Le duc répondit que son désir était plutôt de prévenir des inconvéniens que d’en être la cause. Quoique bien jeune encore, on lui avait fait, depuis cinq ans, plusieurs ouvertures de mariage qu’il avait toutes repoussées ; mais il avait entendu dire tant de bien de la reine, la femme la plus accomplie pour son esprit et pour le charme de sa personne que l’on ait vue depuis des années, qu’il n’avait pu se défendre du désir d’être tout à elle. L’exercice de sa religion touchait à son âme ;