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C’était une menée de Cecil et des partisans de l’Espagne, qui voulaient empêcher le mariage du duc d’Anjou. Ils avaient en effet vivement sollicité la reine de l’épouser. Mais, chargé par elle de les en remercier, il les avait tous vus et leur avait dit que : « lorsque le temps lui était propice, ils avaient été ses adversaires et qu’aujourd’hui que le temps ne lui servait plus de rien, ils faisaient mine de lui aider, que ce n’était que dans le dessein d’écarter le duc d’Anjou, qu’il ne leur en savait donc aucun gré ». Ce langage était-il sincère ? La Mothe fit semblant de le croire, mais en conservant tous ses doutes.

Du moment qu’Elisabeth pensait sérieusement au duc d’Anjou, sir Henri Norris, son ambassadeur actuel en France, n’était plus l’homme de la situation ; il s’était trop compromis durant la dernière guerre civile. Elle le comprit et le remplaça par sir Francis Walsingham. De tous ceux qui servirent sa politique à l’étranger, c’était le plus habile. Il devait beaucoup à l’étude, encore plus à ses voyages ; il avait parcouru toute l’Europe, en savait la plupart des langues et parlait bien le français. Sur tous les autres ambassadeurs d’Elisabeth, il avait cet avantage d’être à la fois l’allié de Leicester et l’ami de Cecil, les deux grandes influences d’alors. Écrivain distingué, il a laissé un livre de maximes politiques. De son temps, on lui reprochait de pratiquer un peu trop souvent celle qu’il mettait au-dessus de toutes : « Il n’en coûte jamais trop à un homme d’état pour savoir ce qui se passe. » Arrivé à Paris dans les premiers jours de février 1571, Walsingham fut conduit le 5 par Lansac au château de Madrid et reçu successivement par Charles IX, Catherine et les deux ducs d’Anjou et d’Alençon ; l’étiquette le voulait ainsi. Entre le duc d’Anjou et lui, aucune allusion ne fut faite au projet de mariage. Au nom d’Elisabeth, il invita le duc à faire maintenir le dernier édit de pacification. Le duc se borna à protester de son dévoûment et de son affection pour la reine. Au moment de son départ, Walsingham avait promis à Leicester de lui faire connaître ses propres impressions sur le duc d’Anjou. Après l’avoir observé avec beaucoup d’attention, voici comment il le dépeint : « Il est plus grand que moi de deux doigts, un peu pâle, bien fait de corps, les jambes longues, fines, mais bien proportionnées. Si tout ce qu’on voit est aussi bien que ce que l’on ne voit pas, il paraît assez sain. Au premier aspect, il a l’air hautain ; mais dès qu’on l’aborde, on le trouve plus courtois et d’humeur plus facile que ses frères. On s’attache plus volontiers à sa personne en raison de l’affection que lui porte la reine mère, qui l’aime à lui seul plus que tous ses autres enfans. Il souffrait d’une fistule et on l’a mis au régime de l’eau ; il s’y est si habitué qu’il ne peut plus se