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Élisabeth cependant s’était laissée aller à quelques confidences avec les dames de son entourage ; le bruit du mariage se répandit bien vite à la cour. La Mothe-Fénelon répondit à tous ceux qui l’interrogèrent qu’il n’en était pas question. Le bruit persistant, il s’en plaignit au cardinal de Châtillon, qui en rejeta la faute sur les indiscrétions du vidame de Chartres ; il s’en plaignit également à Leicester, qui en attribua la cause au vif désir que l’on avait à la cour d’une alliance si convenable. À l’entendre, la reine y était on ne peut mieux disposée, objectant seulement, que le duc, quoique parvenu à l’âge d’homme, serait toujours plus jeune qu’elle. « Ce n’en sera que mieux pour vous, » avait-il répliqué en riant. En quittant La Mothe-Fénelon, Leicester l’engagea à en parler de nouveau à la reine, ce qu’il fit le jour même. L’entretien commença par quelques mots sur la façon de vivre du roi Charles IX avec Élisabeth d’Autriche. La Mothe-Fénelon lui dit que le roi se sentait tout heureux de la douce et intime privauté qu’il avait avec sa jeune femme et qu’il conseillerait à toute princesse qui voudrait avoir un parfait bonheur en ménage de prendre un mari dans la maison de France. « Je vous avoue, reprit-elle, que Mme d’Etampes et Mme de Valentinois me font un peu peur ; je veux que mon mari ne m’honore pas seulement comme reine, mais qu’il m’aime pour moi. » La Mothe répliqua que celui dont il voulait parler avait cette qualité toute particulière de savoir bien aimer et de se rendre parfaitement aimable. Élisabeth reprit qu’elle n’avait jamais entendu parler du duc qu’avec de grands éloges. À ce moment, on annonça le cardinal de Châtillon et La Mothe se retira. Resté seul avec Élisabeth, le cardinal s’avança un peu plus qu’il n’avait fait jusqu’alors et se hasarda à lui poser plusieurs questions. Était-elle libre de toute promesse ? Voulait-elle épouser un Anglais ou un étranger ? En cas qu’elle préférât un étranger, voudrait-elle accepter M. le duc d’Anjou ? Elle répondit qu’elle ne voulait point épouser un de ses sujets, et que, si le duc lui était proposé, elle l’accepterait sous certaines conditions à débattre. Sur ce, le cardinal prétendit avoir un pouvoir du roi et la pria de soumettre cette proposition à ses conseillers. Elle ne dépendait nullement d’eux, répondit-elle ; c’étaient eux qui dépendaient d’elle. Leurs vies étaient entre ses mains. Le cardinal insistant et lui représentant les inconvéniens que sa sœur, la reine Marie, avait éprouvés en voulant traiter seule avec le prince d’Espagne la question de leur mariage sans l’avis de ses conseillers, elle se rendit k cette dernière raison, et dès le lendemain elle rassembla tous ceux de son conseil. En entendant de sa bouche cette communication inattendue, tous baissèrent la tête sans dire un mot. Un seul fit observer que le duc d’Anjou semblait bien jeune pour la reine. « Comment ! dit-elle, prenant le mot dans