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des armées du Midi sur le modèle de sa propre organisation. »

Ainsi le traité de Prague, l’œuvre de notre médiation, était secrètement déchiré dans une de ses dispositions essentielles avant même d’être signé et la ligne du Mein, la limite marquée aux aspirations allemandes, et qui devait nous permettre un jour « de stipuler pour notre alliance le prix que nous jugerions convenable, » était militairement franchie.

Le coup était aussi rude qu’inattendu. Il projetait une lueur menaçante sur nos futurs rapports avec la Prusse. Nous y étions d’autant moins préparés que M. de Pfordten, au moment où il aliénait l’indépendance de la Bavière, poussait la duplicité jusqu’à implorer notre intervention, et que, deux jours après la signature de la paix, il nous remerciait avec effusion de l’assistance efficace que nous lui avions prêtée. Nous étions les dupes d’une comédie imaginée et mise en scène pour mieux détourner nos soupçons et déjouer la vigilance de notre diplomatie. Non-seulement le ministre prussien avait inspiré les protestations mensongères du ministre bavarois, mais il s’était appliqué à nous en confirmer la sincérité : « Sans votre intervention, nous avait-il dit, les cours du Midi ne s’en seraient pas tirées à si bon compte. » Le moment n’était pas venu encore de nous mettre face à face avec la réalité.

Un instant il fut question d’interpeller M. de Goltz. La démarche était grave, elle pouvait entraîner un conflit. Pour la risquer, il aurait fallu disposer d’au moins 300,000 hommes, et l’on n’improvise ni des armées ni des généraux initiés à la stratégie moderne. On préféra gagner du temps. La temporisation est souvent une habileté ; cette fois, elle était une nécessité. La dépêche révélatrice fut transmise à nos légations en Allemagne. On espérait secrètement qu’elle serait démentie. Elle ne fut ni démentie ni confirmée. L’ambassade de Berlin seule, sans opposer des dénégations absolues, émettait des doutes. Il lui en coûtait de croire à tant de perfidie. On en conclut que les informations venues de Francfort pouvaient bien être marquées au coin de quelque exagération et que si des liens étaient réellement contractés entre le Nord et le Midi, ils ne devaient pas avoir le caractère qu’on leur prêtait. L’idée de la triade allemande qui plus tard, en un jour d’optimisme, devait à la tribune du corps législatif se transformer en la théorie des trois tronçons, nous était chère. Elle avait présidé à notre politique danoise et, en prenant corps dans le traité de Prague, elle constituait le bénéfice le plus clair de notre médiation. L’Allemagne divisée en trois groupes distincts était un gage certain pour notre sécurité et un moyen précieux pour nous faciliter le jeu des alliances. Il nous était dur de renoncer à un résultat chèrement acheté au prix du démembrement de la monarchie danoise et de la dissolution de la Confédération germanique.