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pour motiver et colorer son refus étaient précisément celles qui l’avaient désigné au choix du souverain. On estimait que pour une politique nouvelle il fallait un homme nouveau. Il se soumit plutôt qu’il n’accepta ; mais il refusa d’assumer la paternité de la circulaire qui devait annoncer à l’Europe notre retour solennel à la politique des nationalités. Quelle autorité son nom pouvait-il donner à un manifeste qu’il n’avait ni conçu ni rédigé et qui n’était que la justification d’une politique à laquelle il était resté absolument étranger ? On n’avait pas craint cependant, pour vaincre ses résistances, d’escompter l’avenir ; on lui avait dit que tout était prêt pour lui permettre d’attacher son nom à une importante et glorieuse négociation territoriale. Les lauriers qu’on lui laissait entrevoir le tentaient peu. Il annonça sa nomination à sa famille, les larmes aux yeux, comme un coup funeste du destin. Il pressentait que le pouvoir serait le sacrifice de son bonheur et de sa vie. On dut lui envoyer, au nom de l’empereur, dépêches sur dépêches, pour le décider à quitter Constantinople. Ce n’est que vers la fin de septembre qu’il s’embarqua. Il se rendit directement à Biarritz pour y prendre les ordres du chef de l’état. L’empereur le remercia avec effusion d’avoir répondu à son appel dans des circonstances aussi difficiles, mais il se maintint dans les généralités ; il ne désespérait pas de ses rapports avec la Prusse, il avait lieu de croire qu’on était désireux de s’entendre avec nous, et même de nous donner le Luxembourg comme un gage immédiat et effectif de ces bonnes dispositions. C’est la conviction que M. Benedetti avait rapportée de ses derniers entretiens avec M. de Bismarck, et cette conviction était confirmée et fortifiée par le langage et l’attitude du comte de Goltz. On se reverrait du reste avant peu à Compiègne, et, là, on aviserait aux moyens de mettre en application le programme tracé dans la circulaire du 16 septembre.

M. de Moustier, on le voit, n’était pas appelé à faire prévaloir ses idées personnelles ; il prenait la direction du ministère des affaires étrangères sans instructions déterminées, sans que l’empereur eût même jugé utile de débattre et d’arrêter avec lui les bases de la négociation territoriale qu’on se proposait d’engager avec le roi de Hollande. Dans le mécanisme gouvernemental tel que l’avait créé l’empereur, les questions de personnes restaient sans influence sur la marche des affaires. Il changeait ses ministres, mais en prenant des hommes nouveaux, il n’entendait pas, comme dans un gouvernement parlementaire, adopter une politique nouvelle. « Le souverain décide, disait-il au prince Albert lors de l’entrevue de Boulogne, et les ministres exécutent. »

Vichy avait raffermi la santé de l’empereur. Il avait repris les rênes de son gouvernement avec le sentiment des fautes commises et avec l’ardent désir de les réparer. La circulaire qui devait réconcilier