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de redoutables complications, ils avaient su assurer à la France, non-seulement de sérieuses compensations stratégiques, mais aussi une alliance étroite avec la Prusse et l’Italie.

Après le refus de M. Benedetti d’accepter la succession de M. Drouyn de Lhuys, on songea à notre ambassadeur à Constantinople. Dans la combinaison suggérée à l’empereur, M. de Moustier n’était appelé à la direction du ministère des affaires étrangères que pour remplir l’entr’acte qu’exigeraient les pourparlers avec le roi de Hollande, il cédait le portefeuille à M. de La Valette aussitôt la cession du Luxembourg obtenue, et reprenait, avec la récompense du sénat, l’ambassade de ses prédilections. Le choix avait un double avantage : M. de Moustier connaissait l’Allemagne, et depuis cinq ans il était resté étranger à notre politique générale. Il réunissait donc les conditions les plus essentielles pour procéder sans parti-pris à la liquidation du passé et pour interpréter en toute liberté le programme de l’avenir. Il avait de plus la qualité préférée de Mazarin : il était heureux. Il avait en son étoile une foi aveugle. Tout lui réussissait sans que jamais il eût rien sollicité. « Je craindrais en faisant la moindre démarche, me disait-il souvent, de contre-carrer l’étoile qui préside à ma destinée. » Il est de fait que son étoile l’avait traité avec prodigalité. Beau, élégant, d’une intelligence vive et brillante, en possession d’une grande fortune doublée par un grand mariage, il représentait en 1849, à trente ans, le département du Doubs à l’assemblée législative. Il révélait dans les commissions une facilité de rédaction remarquable, un rare bon sens et, bien que légitimiste par les traditions de sa famille, un esprit ouvert à toutes les idées modernes. M. de Morny le signala à l’empereur, qui recrutait volontiers sa diplomatie au faubourg Saint-Germain, surtout parmi les noms qui se rattachaient au premier empire. En 1853, M. de Moustier était nommé ministre à Berlin, où il retrouvait le souvenir de son grand-père paternel et de M. de Laforest, son grand-père maternel, qui, tous les deux, sous des régimes bien différens, avaient représenté la France auprès de la cour de Prusse. Son père avait été ambassadeur sous la restauration ; il avait du sang de diplomate dans les veines. Il rendit à Berlin de signalés services. Par la loyauté et la fermeté de ses appréciations aussi bien que par l’ampleur et la sûreté de ses informations, il aida puissamment son gouvernement à conquérir cette prépondérance que la guerre de Crimée devait lui permettre d’exercer dans les conseils de l’Europe. Sa correspondance datée de Berlin rendra la tâche facile aux historiens qui, un jour, seront autorises à la consulter. Ils y trouveront vivante, retracée avec une clarté cristalline, toute notre politique extérieure depuis l’avènement de l’empire jusqu’à la paix de Paris. Si la diplomatie n’est pas toujours