Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

froissé par l’attitude en quelque sorte comminatoire de notre ambassadeur, et qu’en face de l’opinion publique française, si hostile aux agrandissemens de la Prusse, la prudence conseillait au gouvernement du roi de ne pas rompre avec l’Angleterre pour obliger un allié peu sur, qui semblait ne vouloir s’emparer de la Belgique qu’à l’effet de mieux préparer une agression contre l’Allemagne.

Ce dont il fallait s’occuper avant tout et sans retard, c’était de réconcilier l’opinion publique française dans une mesure quelconque avec la transformation de l’Allemagne, et le gage était trouvé dans l’annexion du Luxembourg. M. de Goltz affirmait que, de ce côté, on ne rencontrerait à Berlin aucune objection. « Mon gouvernement, disait-il encore, serait trop heureux de conjurer à ce prix ses difficultés extérieures et de désarmer en Allemagne les résistances autonomes qui cherchent leur point d’appui en France. Du reste, ajoutait-il, les négociations seront reprises, sur les bases concertées avec l’ambassadeur, dès que M. de Bismarck sera revenu de Varzin ; il m’écrit qu’il en a donné l’assurance à M. Benedetti et qu’il ne négligera rien pour convertir le roi à ses idées. » Tel était le langage de l’ambassadeur du roi Guillaume et le genre d’argumens auquel il recourait pour réconcilier l’empereur avec les faits accomplis et pour l’amener à consacrer les conquêtes de la Prusse en proclamant officiellement le retour de la politique française au principe des nationalités.

Ce n’était pas la première fois qu’on nous offrait le Luxembourg. M. de Bismarck nous en avait parlé en toutes circonstances, et si nous avions voulu à Nikolsbourg lui donner quittance pour les faits accomplis en Allemagne, il nous l’eût garanti sur l’heure. À Berlin, dans les sphères gouvernementales, personne ne doutait alors de la cession immédiate du grand-duché. À la fin de juillet, M. de Thile, le chef de la direction politique, disait à notre chargé d’affaires : « Eh bien ! il paraît que les annexions sont à l’ordre du jour. — Vraiment, répondit M. Lefèvre de Béhaine, et qui donc annexe ? — Nous d’abord, vous ensuite. — Et de quel côté ? — Au nord. — Et quel pays ? — Une province qui porte le nom d’un de vos maréchaux les plus illustres. » M. Lefèvre de Béhaine ne jugea pas prudent de pousser plus loin un entretien auquel il n’était ni préparé ni autorisé. Les paroles du directeur politique furent transmises à Paris à titre d’indice, car si elles n’avaient pas de caractère officiel, elles reflétaient du moins fidèlement à coup sûr les dispositions de son gouvernement, et témoignaient du désir sincère qu’on avait alors de nous ménager une satisfaction. Les propos de M. de Thile ne furent pas relevés par le gouvernement de l’empereur. Ses ambitions à ce moment étaient plus vastes ; il allait revendiquer Mayence et le Palatinat, il réservait « le Luxembourg et