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ROBINSON CRUSOÉ
ET LA
LITTÉRATURE ÉLECTORALE

C’est une terrible race que celle des critiques qui ont l’esprit de leur métier. Leur impitoyable curiosité ne respecte rien ; ils se défient des auréoles, ils percent à jour les légendes, ils se font un malin plaisir de briser les statues des saints, des héros et des dieux, pour savoir en quoi elles sont faites et ce qu’il y a dedans. En vérité, leurs découvertes sont souvent cruelles. Pendant longtemps il n’y a pas eu dans l’histoire littéraire de nom qui parût plus respectable que celui l’auteur de Robinson Crusoé, Daniel Defoe. On n’avait retenu de sa vie que deux choses ; on savait qu’il avait écrit un livre immortel, que l’univers entier a lu, que l’univers relira éternellement ; on savait aussi qu’en 1703, il avait été condamné au pilori pour avoir publié en faveur des dissidens un audacieux pamphlet dont l’Angleterre s’était émue, que l’ignominie de son supplice s’était changée en triomphe, que la populace, s’attroupant autour de ce martyr de la liberté religieuse, l’avait applaudi, acclamé, couvert de fleurs. Un de ces critiques impitoyables dont nous parlions, M. Lee, a consacré de longues années à étudier l’histoire secrète de Defoe. Il a fouillé dans les archives avec une infatigable ardeur, il a dépouillé des dossiers poudreux ou vermoulus, il a eu la patience de compulser deux cent cinquante pamphlets oubliés, où se révèlent la main et l’indomptable verve de l’auteur de Robinson Crusoé. Les conclusions de cette enquête ont été résumées par M. Minto dans une de ces agréables et intéressantes biographies que