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qui contient un saisissant mélange de grandeur et d’abus, d’efforts sincères et d’impardonnables fautes. Ce recueil prendra place parmi les documens de premier ordre, comme un des plus féconds en enseignemens sur le passé. Qui ne l’aura ni lu, ni consulté, non plus dans le résumé inexact et passionné de Boulainvilliers, mais dans son texte authentique, ne pourra pas se rendre un compte exact de ce qu’a été la Fiance à la fin du XVIIe siècle, quelques années après que Colbert était descendu dans la tombe, quand Louvois l’avait épuisée, alors que Louis XIV avait dû s’arrêter devant les souffrances extrêmes d’une nation qui était à bout de sacrifices et lorsqu’au fond des cabinets de Versailles, autour de l’héritier du trône, des hommes de bien préparaient en secret un règne de réparation en apprenant au jeune prince qu’un roi est fait pour ses sujets et non ses sujets pour lui. Tous ces contrastes ont eu leurs peintres : Dangeau et Saint-Simon traçaient leurs mémoires dans le même palais; les flatteurs écrivaient pendant que Fénelon tenait la plume. Grâce à l’initiative de M. de Boislisle, à ces œuvres incomparables se joindra pour jamais une collection de documens précis dans lesquels nul ne prétendra que l’imagination ou la haine aient altéré la vérité. C’est à lui que nous devons le premier volume de la Correspondance des contrôleurs-généraux. Ces deux œuvres, s’appliquant au même temps et au même sujet, se prêtent un mutuel appui, Distraite du ministère des finances pour être rattachée, comme toutes les publications de documens historiques, au ministère de l’instruction publique, la correspondance du contrôle général ne subira plus ni retards, ni obstacles. Le second volume est achevé et va paraître. Le troisième et dernier sera mis sous presse avant peu. La collection des mémoires des intendans était une plus vaste entreprise. Une partie de l’œuvre est accomplie avec l’état de la généralité de Paris : la méthode est fixée. Nous souhaitons que d’autres mémoires soient prochainement mis sous presse; que des collaborateurs se groupent autour de M. de Boislisle, devenu le centre et comme le moteur d’une activité si féconde, qu’ils acceptent docilement ses conseils et marchent dans la voie qu’il a frayée, Si ces vœux étaient accomplis, il ne nous resterait plus qu’à souhaiter longue vie et longue patience au jeune et hardi savant qui a pris l’engagement de nous donner en même temps une édition définitive de Saint-Simon et à qui nous devrons, sous un double aspect, un tableau vrai de la France et de son gouvernement à la fin du XVIIe siècle.


GEORGE PICOT.