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dû être frappé de l’ignorance où était Louis XIV de la misère publique et de la nécessité d’instruire un prince des sources de la richesse nationale. Non loin de lui, Vauban n’avait pas d’autre souci. Lorsque le maréchal, retiré dans sa terre de Bazoches, travailla à décrire l’élection de Vezelay, il entendait faire « une recherche très exacte fondée non sur de simples estimations, mais sur un bon dénombrement en forme et bien rectifié. » Il n’écrivait par « aucun sentiment d’intérêt particulier, mais seulement pour donner une légère idée de tout ce qui se pourrait faire de mieux dans tous les pays qui composent ce grand royaume[1]. »

C’est en janvier 1696 que cet homme de génie se livrait dans le fond d’une province à ce travail de statistique, qui demeure un modèle d’exactitude et de vues profondes. Infatigable chercheur de tout ce qui pouvait l’éclairer sur les richesses et les forces du royaume, Vauban a dû s’efforcer d’obtenir du gouvernement une opération d’ensemble ; il a dû s’adresser à ses amis, leur parler de ses essais. Il connaissait le duc de Beauvilliers. Saint Simon disait de lui qu’il était a peut-être le plus honnête homme et le plus vertueux de son siècle. » Pour qu’un tel éloge sortît de sa plume, l’auteur des Mémoires devait avoir eu des relations suivies avec le maréchal ; sur plus d’un point, l’accord entre Vauban et les amis du duc de Bourgogne était complet ; ils ne craignaient pas plus d’entendre la vérité que Vauban n’hésitait à la dire. Il n’est pas douteux que le chef du conseil des finances n’ait été poussé par Vauban, comme par Fénelon, par son expérience aussi bien que par son bon sens, à profiter de l’âge du jeune prince pour ordonner une enquête non moins profitable au royaume qu’à son futur maître.

Nous possédons le texte du questionnaire qui fut adressé par M. le duc de Beauvilliers aux intendans. Évidemment le chef du conseil des finances s’était inspiré de l’admirable instruction rédigée en 1663 par Colbert. Le questionnaire en résume les principaux points : il contient une longue énumération qui forme autant de titres de chapitres sur la géographie physique de la France ; les ressources du sol, les hommes, leur naturel, leurs costumes, les villes, la population, les diverses classes, le clergé et ses bénéfices, la noblesse et ses fiefs, les magistrats et les justices, l’industrie, le progrès ou le déclin des manufactures, le commerce de terre et de mer, les douanes, les chemins et les ponts, rien n’est négligé ; le nombre des huguenots n’est même pas oublié ; sous ce titre : Causes de la diminution de la population, on demande combien il est parti et combien il est demeuré de huguenots depuis la révocation de l’édit de Nantes.

  1. Oisivetés, I, 201