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sont d’une malpropreté révoltante ; les huttes qu’ils habitent ressemblent aux cabanes des pourceaux; — il avait cru à l’influence des missionnaires! Néanmoins, M. Fitzroy ne juge pas les Néo-Zélandais d’une manière défavorable; il admire leur noble attitude. Dès cette époque, à la baie des Iles, la plupart des hommes ne portent plus le costume national; on les voit enveloppés d’une épaisse couverture de fabrique anglaise. Les malheureux ne cessent de répéter : « Notre pays n’est plus à nous; il est aux hommes blancs. » Eux-mêmes constatent avec tristesse l’amoindrissement de leurs tribus. L’anthropophagie a disparu, l’infanticide est plus rare qu’autrefois, les guerres sont terminées, mais le changement des habitudes n’a point été propice aux pauvres insulaires; les maladies des Européens les ont touchés, les liqueurs fortes les ont jetés dans l’abrutissement, l’emploi sur les bâtimens de commerce ou sur les baleiniers des hommes jeunes et vigoureux a privé leur population de son élément le plus actif.

À ce moment, Kororarika, qui occupe une langue de terre sablonneuse resserrée entre des collines, est le plus gros assemblage d’habitations de tout le pays. D’après les idées européennes, ce n’est ni une ville, ni une bourgade, ni un hameau. Près de la berge se montrent quelques cottages peints en blanc; au pied des collines, deux ou trois maisonnettes bâties dans le style anglais; le reste du terrain semble couvert de palissades et de cabanes. Sous les beaux climats, au milieu des magnificences de la végétation, les plus misérables huttes peuvent être d’un effet pittoresque; sous le climat froid et humide, l’aspect d’aussi tristes habitations inspire un sentiment pénible.

En compagnie de l’un des missionnaires, invité à mettre fin à une dispute qui s’est élevée entre deux tribus, le capitaine Fitzroy s’achemine vers le village de Kawa-Kawa et sa bonne fortune lui fait rencontrer un chef célèbre dans la région, Pomaré, que l’on cite pour les actes d’anthropophagie les plus épouvantables. Le pah de ce chef fameux donne l’impression d’une clôture destinée à retenir les bestiaux. L’estuaire de la Kawa-Kawa est un véritable bras de mer que des collines abritent contre les violentes rafales. Sur la côte orientale dominent plusieurs constructions d’une physionomie toute britannique qui répond au goût du commandant du Beagle ; la vue des navires à l’ancre et des bateaux qui circulent rappelle l’Angleterre et fait oublier au marin qu’il est aux antipodes de la patrie. Au-dessus de l’estuaire, le fleuve, d’une largeur très médiocre, n’est pas sans agrément; sous l’ombre des collines boisées, il y a des sites gracieux. En pirogue, on remonte le cours d’eau sur une longueur de 4 milles; mettant pied à terre, on se dirige vers le village de Kawa-Kawa avec une escorte de quelques personnages indigènes