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— Allons, un peu de courage, dit Sylvia. Il n’y a personne que tu désires voir ?

— Je n’ai pas un ami au monde, répondit l’enfant avec une emphase mélancolique.

— Ne dis pas cela, puisque tu nous as, répliqua-t-elle, et ce nous naturellement prononcé fit battre le cœur de Wilfred comme s’il eût établi entre eux un premier lien.

Grâce à l’intervention de Sylvia et de sa mère, qui connaissaient à fond les mœurs et les habitudes du pays, tout s’arrangea facilement. Lord Athelstone ne tenait pas à ce que le féroce beau-père fut puni, et Balbo tenait encore moins à garder dans sa maison celui qu’il appelait un vaurien. On lui fit entendre d’ailleurs officieusement qu’il ne gagnerait que de l’ennui à s’opposer aux généreuses intentions d’un riche étranger qu’il avait voulu assassiner; une petite somme d’argent acheva de simplifier les choses. Wilfred bénissait Lorenzo, car Sylvia venait presque chaque jour voir son jeune malade, et il profitait avec délices de sa présence.


XVI.

L’admiration passionnée de Wilfred pour miss Brabazon grandissait sans cesse. Sylvia captivait son imagination, elle exaltait ce qu’il y avait de meilleur en lui; tout ce qu’elle disait lui semblait exquis. Lorsqu’il se rappelait maintenant Nellie Dawson, c’était comme une figure presque effacée qui appartenait à une période antérieure de son existence ; sans doute, il aurait cueilli volontiers cette fleur sauvage dans l’ardente matinée de ses vingt ans, mais entre le brin de muguet qui se cache sous l’herbe et le lis superbe des jardins, il n’y a ni comparaison ni rivalité possible. La royale fleur cependant était avare de ses parfums. Bien que flattée de l’ascendant qu’elle prenait sur le jeune poète, elle ne lui donnait aucun encouragement, Pour qu’elle laissât paraître ce qu’il lui inspirait, il fallut l’arrivée de son amie lady Frances, qui, en compagnie de sa mère, débarqua un matin à l’hôtel d’Angleterre. Ce fut un trait d’union entre lady Athelstone et la belle amie de son fils : les manières de lady Frances à l’égard de Wilfred trahirent d’abord une légère contrainte, mais celles de Wilfred, en revanche, étaient si naturelles qu’elles mirent bientôt tout le monde à l’aise. Il était clair qu’il ne se sentait pas coupable, et lady Frances résolut par fierté d’oublier qu’il eût pu l’être à son égard. La présence de cette intelligente et agréable personne ne rendit que plus fréquentes les promenades entreprises en commun presque chaque jour; assise au fond de la voiture, auprès de Mme Brabazon, lady Frances causait avec cette