Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/129

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

démarche et ces attitudes exquises qu’ont toutes les femmes d’Orient chargées de fardeaux. Quelques-unes vous disent : « Bonjour ! « en passant dans le meilleur français. Prévenu par cette première scène tout à fait séduisante, convaincu d’ailleurs qu’il n’était pas possible d’éprouver de surprise désagréable à Nazareth, je m’avançais plein de confiance vers la fontaine. De loin, le coup d’œil justifiait toutes mes espérances. Qu’on se figure une sorte d’arceau pittoresque au centre duquel coulent deux ou trois filets d’eau qui forment à terre une grande mare où une cinquantaine de femmes, vêtues des costumes les plus brillans, grouillent et se pressent les unes contre les autres. Les couleurs, les poses, tout semble rappeler les plus belles scènes de la vie antique. Mais dès qu’on s’approche, on est abasourdi par un tel vacarme que les plus fortes illusions s’effacent et que la réalité de tous les temps apparaît dans sa parfaite laideur. Ces femmes, qu’on admirait à distance, sont des mégères plus ou moins affreuses qui se battent, se bousculent, se poussent mutuellement dans la vase avec un bruit épouvantable. Par malheur pour moi, au moment même où j’approchais, deux cavaliers peu galans, désireux de faire boire leurs chevaux, pénétraient par force au milieu de cette masse tapageuse. Jugez les cris nouveaux, les imprécations, les jurons arabes, les plus violens des jurons ! J’en ai éprouvé un serrement de cœur. « Nul doute, dit M. Renan, que Marie n’ait été là presque tous les jours et n’ait pris rang, l’urne sur l’épaule, dans la foule de ses compatriotes restées obscures. » Hélas ! nul doute aussi qu’elle n’ait été mêlée à des tumultes pareils à celui dont j’ai été témoin, qu’elle n’ait été éclaboussée par l’eau trouble et par les paroles grossières qui rejaillissaient devant moi sur les femmes de Nazareth.

Si la beauté de ces femmes m’a paru beaucoup moins remarquable qu’on ne le dit généralement, en revanche, leur costume pittoresque m’a beaucoup frappé. Leur tête est recouverte d’une sorte de voile qui s’y enroule comme un diadème et qui retombe ensuite gracieusement sur les épaules. Celles qui sont peu favorisées de la fortune se contentent d’un simple foulard, mais il est noué avec élégance et encadre bien la figure. Leur robe est largement décolletée sur le devant jusqu’à la taille, non pas en carré, mais en forme de cœur ; une légère guimpe transparente recouvre seule leur poitrine et leur gorge ; quelques-unes n’ont pas de guimpe du tout, mais c’est la minorité. Leur jupe d’indienne ou de cotonnade très légère est peinte des plus vives couleurs ; elles la relèvent sans cesse autour d’une ceinture bigarrée, afin de pouvoir marcher plus librement ou de s’avancer dans l’eau sans mouiller leur vêtement ; on aperçoit alors de larges pantalons bouffans, bleus, blancs, rouges,