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chant perlé! Que de fois n’ai-je point rencontré ces petites tortues d’eau douce, à l’œil vif et doux, ces cigognes à l’air pudique, ces merles bleus si légers qu’ils se posent sur une herbe ou sur une fleur sans la faire plier! Quant aux montagnes de la Galilée, rien ne saurait en rendre la grâce exquise ; il y a beaucoup de montagnes plus élevées, plus pittoresques, plus puissantes; il n’y en a pas dont les lignes soient plus pures et les contours plus délicats. En s’avançant dans la plaine d’Esdrelon, on aperçoit tout à coup le mont Thabor; l’antiquité le comparait à un sein, et nulle comparaison ne donne une idée plus exacte de l’extrême souplesse de ses contours arrondis. Antonin Martyr, à la fin du VIe siècle, fait un tableau enchanteur de la fertilité de la Galilée, qu’il compare à l’Egypte pour l’abondance des fruits et la richesse des moissons. A cette époque, elle était encore couverte d’ombrages qui ont tous disparu. Y a-t-elle autant perdu qu’on serait tenté de le croire? Peut-être sa nudité, que recouvre sans la cacher le tissu de fleurs le plus brillant que l’œil puisse contempler, fait-elle encore mieux ressortir sa souveraine et irrésistible beauté.

Quand on a traversé de part en part la plaine d’Esdrelon, on arrive au pied d’une chaîne de collines au sommet desquelles est construit Nazareth, dans un large pli de terrain dont la forme est celle d’un immense entonnoir. Il faut une bonne heure pour gravir cette chaîne, mais le spectacle qu’on garde sous les yeux durant toute l’ascension est tellement agréable qu’on n’éprouve aucune fatigue à la faire. Quoique le sentier soit détestable, on peut se fier à son cheval, lui laisser la bride sur le cou, et concentrer toute son attention sur le merveilleux tableau qui se déroule devant soi et qui devient de plus en plus séduisant à mesure qu’on l’embrasse plus complètement du regard. Enfin la plaine d’Esdrelon disparaît derrière les rochers, et l’on se trouve en face de Nazareth, un gros bourg perché comme un nid d’aigle au flanc de la montagne. Il est probable que la ville n’a pas beaucoup changé depuis les temps évangéliques. Si elle n’était pas gâtée par quelques grands établissemens chrétiens, on pourrait encore s’y croire à l’époque de l’enfance de Jésus. Malheureusement l’église catholique de l’Annonciation, un immense orphelinat anglais et un petit oratoire, perché sur une éminence, rappellent immédiatement à la réalité contemporaine. M. Renan n’en a pas moins raison de dire que, même de nos jours, Nazareth est un lieu délicieux, « le seul endroit peut-être de la Palestine où l’âme se sente un peu soulagée du fardeau qui l’oppresse au milieu de cette désolation sans égale. » C’est à Nazareth que je me suis débarrassé pour la première fois du cauchemar des lieux saints qui m’avait poursuivi sans cesse en Judée