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petite terrasse située tout à côté et d’où je regardais avec admiration le ciel s’illuminer au feu des étoiles et la campagne autour de moi s’envelopper de grandes ombres. Assurément cette terrasse était fort étroite, fort sale, fort mal disposée, et néanmoins c’est elle qui m’a fait comprendre un des plus grands charmes de la vie orientale. Elle était environnée de murs peu élevés sur lesquels les propriétaires cultivaient des rosiers et des fleurs diverses. C’est le seul luxe des habitans de la Palestine. Ils ont la passion des fleurs ; les terrasses de leurs maisons sont de véritables jardins. Mon drogman, un médiocre bourgeois, me racontait qu’il possédait à Jérusalem plus de cent trente vases de fleurs ; les plus grandes dépenses qu’il se permît étaient l’achat d’une nouvelle espèce de lis ou de roses ; il en avait de toutes provenances ; chaque jour il en acquérait de nouvelles. Ces sortes de parterres élevés, couverts de plantes variées, avec des tonnelles pour s’abriter le jour contre les ardeurs du soleil et de grands espaces vides pour apercevoir le soir le ciel étincelant d’étoiles, servent aux Orientaux de salon, de chambre à coucher, de lieu de résidence durant l’été. Mollement étendus au milieu des fleurs dont les parfums les enivrent, tandis que la tiédeur de l’atmosphère les pénètre de toutes parts, ils se livrent à ces rêveries sans fin, à cette douce somnolence, qui endorment toutes les sensations et qui ne laissent plus subsister qu’un vague sentiment de bien-être, de bonheur et de paix. La nature entière, engourdie comme eux, ne leur apporte que des bruits indistincts, que des murmures confus. Parmi tous les prestiges de l’Orient, il est certaines heures où celui de nuits pareilles semble le premier de tous. Endormir son esprit dans l’oubli et l’absence de tout désir, paralyser son âme, non sous des émotions trop fortes, mais par l’absence de toute émotion, étouffer en soi l’activité sensible pour ne laisser subsister que je ne sais quelle sensation végétative, n’est-ce pas pour ceux qui ont souffert une sorte d’idéal, trompeur peut-être, mais dont le rêve est rempli de séductions?

Au reste, à l’époque où je me trouvais à Djénine, la saison n’était pas encore assez avancée pour me permettre de passer la nuit sur une terrasse. Vers minuit, l’air devenant plus frais, il fallut rentrer dans ma chambre et faire connaissance avec un autre côté, celui-là absolument dépourvu de poésie, de la vie orientale. Mon lit se composait d’un simple tapis posé sur une natte. Au bout de quelques minutes, je me sentis en proie à des milliers d’insectes. Mon drogman et mon hôte, qui étaient restés dans la même chambre que moi, ronflaient à qui mieux mieux; cependant, ce dernier s’ étant mis à tousser, mon drogman l’invita à aller dormir sur la terrasse, afin de ne pas nous incommoder. Si son rhume s’en trouva