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II

« La plupart des cités grecques, a dit Pline l’Ancien, gagnèrent beaucoup à échanger une liberté agitée contre le repos et la prospérité que leur assura Rome. » Les Chiotes, à toutes les époques, auraient approuvé les paroles de Pline. Ils se trouvèrent bien de la domination romaine et s’accommodèrent admirablement de la domination ottomane. Le patriotisme à coup sûr leur semblait un beau sentiment, mais un luxe dont il était aisé de se passer. Après les guerres et les troubles qu’ils avaient eu à subir au temps des empereurs de Byzance et des Génois, ils auraient volontiers dit du Turc :

……. Deus nobis hæc otia fecit.
Namque erit ille mihi semper Deus…


Au début de la guerre de l’indépendance, quand la Grèce entière s’agitait au grand souffle de la liberté, les raïas de Chio restèrent tout à fait calmes. Ils virent cette insurrection avec un certain étonnement, non sans une certaine crainte. Ils pressentirent que, même pour les Grecs décidés à ne pas se mêler au mouvement, il y aurait des coups à recevoir. D’ailleurs, ils n’avaient pas été initiés aux préparatifs de la révolte. Les hétairies qui avaient préparé la levée de boucliers savaient qu’on ne devait pas compter sur les Chiotes. Ce ne fut que de longs mois après les premiers coups de fusils tirés que les Grecs tentèrent de soulever Chio. Le 8 mai 1821, une escadre grecque de vingt-cinq bâtimens vint mouiller devant l’île. Un émissaire fut débarqué portant une proclamation destinée à faire prendre les armes aux Chiotes. La garnison turque se composait alors tout au plus de trois cents soldats. Le 11 mai, l’émissaire revint à bord du vaisseau amiral. Cent hommes à peine dans toute l’île étaient disposés à la révolte, et les notables de Chio avaient livré spontanément des otages au pacha. Un message secret fut même envoyé par les démogérontes à l’amiral Tombasis, le conjurant de s’éloigner pour ne pas troubler la tranquillité de l’île. La flotte grecque leva l’ancre. Le pacha tremblant encore de la peur qu’il avait eue, demanda des renforts à Constantinople et exigea des Chiotes de nouveaux otages. Mille irréguliers turcs arrivèrent à Chio. Ils terrorisèrent l’île par leurs vexations et leurs pillages. Les Chiotes furent employés nuit et jour, les injures et la bastonnade payant leur peine, à élever des redoutes, à construire