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la fin de juin et les premiers jours d’août qui ait pu « saisir l’opinion, » qui explique ce changement de langage, cette évolution de M. Gambetta ? Ce n’est point manifestement pour avoir voté contre l’article 7, pour avoir traité parfois avec quelque sévérité la politique des décrets que le sénat est menacé : tout cela était passé depuis longtemps avant le voyage de Cahors. Il ne reste donc pour tout grief, ou pour grief principal, que le vote contre le scrutin de liste, — le vote que M. Gambetta met au rang des « tentatives plus ou moins coupables, » des « résistances plus ou moins aveugles d’une majorité de hasard. » — Le sénat a cédé a « un vent de vertige, » et, comme « tout se paie en politique, » il faut que le sénat paie son vote. Voilà qui est clair ! M. Gambetta fait de la politique avec ses ressentimens ; peut-être aussi, à la veille des élections, a-t-il cru habile de désarmer les radicaux plus avancés que lui en leur livrant la constitution et le sénat. C’est là ce qu’il appelle travailler à fortifier le gouvernement dans la république ! Le fait est que M. Gambetta est aujourd’hui ce qu’il a toujours été depuis qu’il est un personnage public ; que, chef de parti, président de la chambre ou prétendant au pouvoir, il n’a pas cessé un instant d’être un politique promettant au pays plus d’agitations que de réformes sérieuses et peut-être plus d’aventures que de garanties libérales.

Il s’agit de savoir ce que le pays répondra par son vote du 21 sur cette question et sur bien d’autres. M. Gambetta met la révision dans son programme ; M. le président du conseil, qui, à son tour, vient de prononcer un nouveau discours à Nancy, qui, lui aussi, a l’ambition d’être un homme de gouvernement, un chef du parti républicain, M. le président du conseil est évidemment d’une opinion différente puisqu’il a résumé d’avance son programme dans ces mots : « Ni révision ni division ! » Qu’en sera-t-il ? à qui le suffrage universel donnera-t-il raison ? Cette majorité parlementaire qu’on lui demande de tous côtés sans lui dire ce qu’on en veut faire, la donnera-t-il à M. Gambetta ou à M. le président du conseil ? Ce qu’il y a de plus clair, de plus sensible, c’est que le pays est peu, disposé à se passionner pour des programmes plus ou moins décevans, pour des questions auxquelles il n’attache pas d’importance. Non, en vérité, il ne s’intéresse pas démesurément à la révision « partielle » ou totale de la constitution ; il ne réclame ni la mort ni même la réforme du sénat. Il n’a pas non plus un enthousiasme bien prononcé pour les apothéoses que M. le président du conseil se décerne à lui-même, pour les apologies que le chef du cabinet croit de voir faire de sa politique, de cette « politique modérée » qui se permet tout. Ce que le pays demanderait sûrement, s’il pouvait parler dans sa sincérité, avec toute la force de ses instincts et de ses intérêts, ce serait qu’on cessât de l’agiter par des luttes stériles, qu’on s’occupât de ses affaires, qu’on donnât à une nation sensée et laborieuse une politique de raison,