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toutes les forces de la tradition contre la critique et l’exégèse naissantes qui s’insinuaient en France par les livres de Richard Simon, ce fut le directeur de Mme de Maintenon, Godet des Marais, évêque de Chartres, qui découvrit et signala le danger. Mme de Maintenon, sur son conseil, dut interdire l’accès de Saint-Cyr à Mme Guyon.

Mais dans le même temps que Godet des Marais découvrait à Saint-Cyr les progrès de la nouvelle spiritualité, Bossuet, d’autre part, commençait à s’étonner et s’inquiéter un peu du soin avec lequel Fénelon détournait la conversation toutes les fois qu’il était par hasard question entre eux de ces matières délicates, subtiles, dangereuses. Il savait, comme tout le monde, les liaisons de Fénelon avec Mme Guyon, mais il avait trop de confiance, de naïve confiance, dans les lumières de ce disciple de choix pour soupçonner que si véritablement la spiritualité de Mme Guyon allait à des excès, Fénelon ne s’empressât pas de la réduire dans ses justes bornes. Il était loin en tout cas de se douter qu’il se fût établi de la prophétesse du quiétisme au précepteur des enfans de France « comme une filiation spirituelle » et qu’un homme de tant d’esprit pût voir « un prodige de doctrine et de sainteté » dans une femme sans nom, sans influence, à ce qu’il croyait encore, et sans autorité. Aussi quand, sur ces entrefaites, et par le conseil de Fénelon, on vint soumettre à son examen les livres de Mme Guyon, fut-il tenté d’abord d’en décliner l’honneur et n’accepta-t-il enfin que sur les instances réitérées, tant de Mme Guyon elle-même que du duc de Chevreuse. L’examen dura plusieurs mois pendant lesquels Bossuet, lisant et faisant des extraits, ne voulut pas voir Mme Guyon avant que d’avoir fixé ce qu’il devait penser de la doctrine. Le biographe, c’est M. Guerrier que je veux dire, insinue délicatement que Bossuet sans doute eut peur de tomber sous le charme de cette femme extraordinaire. Mais la gloire de l’invention ne lui appartient pas, et s’il le dit, c’est qu’il l’a su de La Beaumelle, toujours.

On pense bien que nous n’allons pas entrer ici dans le fond de la controverse. Il importe toutefois à ce que nous voulons dire d’assurer trois points, que voici.

Le premier, — c’est que la soumission de Mme Guyon fut d’abord entière, et comme celle de Fénelon, non-seulement sans restriction, mais presque plus humble qu’on ne la voudrait. « Permettez-moi, monseigneur, écrit Mme Guyon, avant d’être examinée, que je vous proteste que je ne viens point ici pour me justifier ni pour me défendre.. ; que je condamne de tout mon cœur, en présence de Dieu, sans aucune restriction, tout ce que vous condamnez en ma conduite et mes écrits… Faites-vous remettre en main les originaux et les copies, je vous les résigne si absolument que, quoique vous en puissiez faire, je ne m’en informerai jamais, » Et Fénelon, de son côté : « Ne soyez pas en peine de moi ; je