Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 46.djvu/940

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son apostolat par le charme de sa jeunesse et l’éclat de sa beauté. Cette remarque était importante : nous la devons à M. Guerrier. Nous passerons rapidement sur le récit d’une première captivité qu’elle subit aux visitandines de la rue Saint-Antoine. S’il en fallait croire le récit de Mme Guyon, ce serait son propre frère, le P. de La Motte, barnabite, et même provincial des barnabites, qui, avide d’administrer les biens de sa sœur et jaloux des succès oratoires du P. La Combe, aurait suscité la persécution contre la dévote et le directeur. Il se peut. M. Guerrier, pourtant, trop confiant en Mme Guyon, ne nous paraît pas avoir tout à fait éclairci cette histoire. L’archevêque de Paris, Harlai de Chanvalon, prélat galant, homme de peu de foi, mais de grandes manières, y joue, selon la victime, un rôle tortueux, malpropre, vilain, qui ne répond pas plus à ce que nous savons de lui qu’à ce que nous connaissons de la psychologie des débauchés. Tout ce que nous pouvons dire, c’est qu’au bout de six mois Mme Guyon fut délivrée par l’intervention d’une sainte femme, cette Mme de Miramion, dont on nous a conservé la belle parole à ses filles : « Nous avons, pour contempler, l’éternité tout entière ; cette vie est faite pour le travail ; » maxime précisément la plus opposée qu’il se puisse au quiétisme de Mme Guyon.

Cependant, entre autres amitiés à la fois dévotes et mondaines que Mme Guyon avait soigneusement entretenues à Paris, se trouvait la fille de Fouquet, duchesse de Béthune-Charost. La duchesse de Béthune était liée fort étroitement, à ce qu’il semble, avec les filles de Colbert, la duchesse de Chevreuse et la duchesse de Beauvilliers. L’éloge de ces nobles femmes n’est plus à faire. Au milieu de cette cour, si brillante jadis et maintenant infectée d’hypocrisie, elles représentaient, non pas peut-être sans quelque excès de scrupules et quelque raffinement de spiritualité, l’incarnation de la vertu même. « Si j’avais fait pour Dieu ce que j’ai fait pour cet homme, disait Colbert à son lit de mort, je serais sauvé maintenant, et je ne sais ce que je vais devenir. » On eût dit qu’au milieu de la cour et de leur grand état de maison, inaccessibles aux suggestions de la vanité comme aux ardeurs de l’ambition, ce gémissement de leur père continuait de retentir à l’oreille des filles de Colbert. C’était leur cercle familier que Mme de Maintenon, par goût de piété solide et sincère autant que par politique et par intérêt de pruderie, fréquentait en ce temps-là plus que pas un autre. On voit par où Mme Guyon fut mise en rapport étroit avec Mme de Maintenon. Mme de Maintenon commit l’imprudence de l’introduire à Saint-Cyr. Aussitôt toutes les jeunes filles, avec l’avidité de leur âge pour le romanesque se précipitèrent sur la doctrine de la visionnaire. Le Moyen court devint le bréviaire de la maison, et Mme Guyon, par-dessus tous confesseurs ou directeurs, l’oracle de la communauté.

Ce ne fut pas Bossuet, notez-le bien, alors occupé de rassembler