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revenait donc avec une puissance nouvelle d’énergie et de dévoûment qui ne demandait qu’à trouver un emploi immédiat.

Sur les marches du club, il rencontra Athelstone dès le lendemain de son arrivée ; tout d’abord il fut question entre eux de ce livre nouvellement paru. Hubert n’en avait encore lu qu’une critique assez anodine.

— C’était l’œuvre d’un ennemi en ce cas, dit gaîment lord Athelstone. Mes seuls amis, parmi les critiques, sont ceux qui déplorent « qu’un jeune homme pourvu de si grands dons, » etc.. Ceux qui, au contraire, saluent obligeamment en moi un « jeune lord qui, en dépit de sa naissance, a vraiment quelque talent et pourra faire mieux peut-être... » oh ! ceux-là, je voudrais les étrangler. Je vous saurais gré de rendre compte du livre, Hubert ; il vous sera envoyé ce soir.

Saint-John secoua la tête en riant :

— Vous n’aurez pas lieu de vous plaindre de mon indulgence ! Rappelez-vous ce que je vous ai dit à Florence.

— Je me rappelle ; notre manière de voir diffère sur bien des points, mais vous n’avez pas de préventions arrêtées... Venez du moins à Athelstone la semaine prochaine, nous nous disputerons à loisir sous les ombrages.

— Mon regret est grand de ne pouvoir accepter ; je suis invité d’un autre côté, dans le Northumberland, chez une cousine...

Le nom de cette cousine était Mary Goldwin, et pour la première fois Saint-John se décidait à lui rendre visite depuis son mariage, qu’il avait considéré comme une trahison. Le départ de Hubert pour les Indes et le séjour de cinq années qu’il s’était vu forcé d’y faire avaient suffi, en effet, pour éteindre dans le cœur de la cousine, fort jolie, mais sans le sou, une inclination naissante dont son cousin était l’objet. A vingt-quatre ans, elle s’était donnée à un très digne homme qui l’avait transportée dans une atmosphère de luxe et de bonheur négatif pour ainsi dire. Absorbé par ses affaires, M. Goldwin était rarement chez lui ; au reste, il avait, avec raison, une confiance absolue dans sa femme ; celle-ci, depuis la naissance de son dernier enfant, était devenue si maladive que la plupart des hivers se passaient pour elle dans le midi, ce qui rendait la séparation plus complète encore, bien qu’affectueuse au demeurant : la jeune femme estimait son mari, lui était reconnaissante et l’aimait en la personne de deux enfans qu’elle lui avait donnés ; mais entre eux la communauté d’intérêts existait seule ; Mme Goldwin ne pouvait pas plus se soucier de métallurgie et de commerce que M. Goldwin ne se souciait lui-même de littérature, de beaux-arts, de tout ce qui, en un mot, formait le fond de la vie délicate, presque éthérée de