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chaîne humaine de plus de 30 kilomètres dut se rompre à tout instant, au passage des bois, des rochers, des montagnes. — Tous les Chiotes furent vendus comme esclaves ; les plus beaux jeunes gens furent faits eunuques, les femmes envoyées dans les harems d’Asie. On brûla la ville.

Les Perses ne tardèrent pas à regretter ces ravages. Une île dépeuplée ne paie pas d’impôts, et pour des desseins ultérieurs, il était bon de s’assurer une flotte comme celle qui avait si valeureusement combattu à Lada. Les Chiotes furent donc rapatriés, la cité reconstruite, les- travaux repris. A Chio, on ne garda pas de ressentiment du traitement subi après la bataille de Lada. Comme Atapherne disait un jour aux députés d’Ionie : « Nous ne pouvons nous fier à vous ; nous vous avons fait trop de mal pour que vous l’oubliiez, » un Chiote répondit : « Si vos vengeances vous font douter de notre fidélité, que vos bienfaits futurs vous en assurent. » On aurait pu se défier de ces belles paroles ; les Perses y crurent, et ils eurent raison. Durant les guerres médiques, les Chiotes, loin de se révolter, fournirent des trirèmes au grand roi. Ils combattirent contre les Grecs à Salamine. L’issue de cette bataille rendit les Chiotes très perplexes. Les Grecs étaient victorieux, mais leur flotte était encore bien loin de Chio ; les Perses étaient vaincus, mais leur territoire n’était séparé de l’île que par un bras de mer. Dans cette occurrence, que dictait la prudence ? La bataille de Mykales mit fin à cette incertitude. Les Chiotes se déclarèrent pour les Grecs, acquiescèrent au traité d’Aristide et reconnurent la suzeraineté d’Athènes. La prospérité de Chio s’accrut sous le protectorat athénien. La métropole leur laissait, comme à toutes les villes, l’autonomie municipale et n’exigeait d’eux que les taxes établies par le traité de Délos et un contingent de trirèmes en temps de guerre. Les Chiotes restèrent les plus fidèles alliés d’Athènes durant un demi-siècle, — tant que la fortune fut du côté d’Athènes, — si bien, rapporte Théopompe, qu’il était d’usage dans les fêtes athéniennes d’implorer les Dieux pour Chio comme pour Athènes. Les Athéniens allaient même jusqu’à rire un peu du zèle sans limites des Chiotes. « Quelle bonne ville que Chio ! disait Eupolis. Tout ce que vous demandez elle le donne. Voilà un cheval qui n’a pas besoin d’aiguillon ! » Mais, le désastre de l’expédition de Sicile ayant porté le premier coup à la puissance d’Athènes, Chio pensa avec l’appui des Lacédémoniens à s’affranchir de l’hégémonie athénienne. Elle mit d’ailleurs dans l’exécution de ses desseins la plus extrême circonspection, puisqu’elle envoya dans le même temps des ambassadeurs à Sparte et des ambassadeurs à Athènes, pour assurer les deux cités de son bon vouloir. Ce fut Alcibiade qui entraîna la défection de Chio. Durant la troisième phase de la guerre du