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— Oui, elle s’est trop fatiguée dans la période de la croissance ; il lui faudrait une bonne nourriture, des distractions...

Wilfred répéta les paroles du docteur à sa mère — Vous devriez l’inviter à venir se rétablir ici, ajouta-t-il ; elle s’en trouverait bien pour son compte et se rendrait utile de mille façons.

La femme de charge, fonctionnaire important, appuya la proposition de son jeune maître, le hasard permettant qu’elle eût une grande prédilection pour Nellie ; aussi lady Athelstone, à qui le docteur avait enjoint de prendre l’air, donna-t-elle pour but à sa courte promenade de l’après-midi le cottage de Mme Dawson. La mère fut extrêmement touchée de l’invitation de mylady, qui imposait silence aux propos et d’abord assurait à sa fille souffrante un meilleur régime que celui qu’elle pouvait lui donner. Nellie seule résista quelque peu, par timidité, pensa Mme Dawson ; celle-ci, habituée à marcher droit dans la vie, était si loin de supposer que son enfant pût éprouver autre chose que de la reconnaissance et du respect pour un homme placé si haut au-dessus d’elle, et que la passion fût susceptible de se mêler à ces sentimens permis 1 Non-seulement elle eût blâmé avec sévérité un pareil égarement, mais elle eût refusé d’y croire. Nellie le savait bien ; le courage lui manqua pour se confesser. Il ne faut pas la juger sans merci ; elle n’avait que seize ans. Ce soir-là, elle prit le chemin du château, elle et sa petite malle.


IX.

Lord Athelstone allait de mieux en mieux ; il ne pouvait se lever cependant, et sa femme passait auprès de lui une bonne partie de la journée. Wilfred lui tenait aussi compagnie très assidûment ; mais à mesure que le danger semblait s’écarter, il avait plus de loisirs et il les employait à travailler dans le boudoir de sa mère, contigu à la chambre du malade. Nellie lui servait de secrétaire. Lady Athelstone n’y voyait aucun inconvénient : cette jeune fille avait une belle écriture ; le volume que préparait Wilfred avancerait beaucoup plus vite ainsi.

Toutes les fois que cette mère aveugle traversait la pièce où se tenaient les deux jeunes gens, elle trouvait la copiste assise, pâle et modeste, devant la table à écrire, et Wilfred de l’autre côté, rassemblant les feuilles éparses. Apparemment chacun d’eux était absorbé dans sa besogne.

Lord Athelstone ne se doutait guère que le danger existât si près de lui ; il fallut pour qu’il l’apprît que sa femme proposât un matin de charger Nellie du soin de lui lire les journaux.