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— Dites-moi, demanda-t-il, est-ce pour Sam ou pour moi que vous avez peur ?

— Pour vous…

Ces deux mots lui échappèrent involontairement. Il la saisit dans ses bras et la serra contre son cœur. La pauvre fille voulut s’échapper, mais la tête lui tourna, elle chancela et se trouva mal.

— Ma chérie, remettez-vous !.. pardonnez moi… Quelle brute je fais !.. Nellie,.. parlez,.. ouvrez les yeux…

Hélas ! elle ne pouvait lui répondre. Il se rappela qu’un ruisseau coulait près de là et y courut. Au moment même quelque chose remuait dans le fourré. L’aurait-on épié par hasard ? Il regarda autour de lui et ne vit rien… Quand il revint, rapportant de l’eau dans son chapeau, Nellie avait repris possession d’elle-même et s’éloignait aussi vite que ses jambes fléchissantes pouvaient la porter. Son premier mouvement fut de la poursuivre, mais un pas résolu broyait les feuilles mortes derrière lui. Il se retourna et se trouya face à face avec Sam Dawson.

Sam avait le visage tout blanc, les lèvres serrées ; il tenait dans sa. main un bâton énorme, et l’intensité de la colère transfigurait pour ainsi dire sa personne ordinairement ridicule.

— Puis-je vous demander ce que vous faites ici ? Ce parc n’est pas public.

Ce fut Wilfred qui parla le premier et avec une tranquillité qu’il était loin de ressentir.

— Vous savez très bien pourquoi je me trouve chez vous. Je suis le cousin de Nellie Dawson et je compte devenir son mari, répondit Sam entre ses dents.

— Voilà vos raisons pour avoir épié notre entretien ? Eh bien ! puisque vous avez entendu, vous devez être satisfait.

— Je n’ai pas entendu un mot, mais j’ai vu, c’est bien assez. Si vous croyez que je vais vous laisser rôder autour d’elle, si vous croyez que je me contenterai de vos restes, vous vous trompez, dit Sain avec un juron épouvantable.

— Je ne crois rien de semblable. D’abord Nellie Dawson ne sera jamais votre femme, elle me l’a dit. Quant à moi, je suis prêt à rendre compte de ma conduite à sa mère, mais à elle seule…

Sam le regarda et un infernal sourire passa sur ses traits :

— Si je disais pourtant à tout le village ce que j’ai vu…

— Cela ne m’étonnerait pas de votre part. Il serait digne d’un galant homme, en effet, de perdre la réputation d’une jeune fille en répandant une calomnie.

— Une calomnie ?.. C’est trop fort ! Comptez-vous l’épouser, oui ou non ?.. Et si vous n’en avez pas le projet, croyez-vous que